Les fossoyeurs de l’histoire

Article écrit le 19 août 2023 par Nghia NGUYEN 
– 180e promotion Cardinal de Richelieu
– Professeur agrégé
 au Lycée Jean Monnet (Cognac)

Dans un article particulièrement critique à l’encontre du Puy du Fou, l’universitaire Guillaume MAZEAU affirmait l’essentiel des arguments utilisés par les détracteurs du parc vendéen à savoir que celui-ci est une entreprise idéologique manipulant et falsifiant l’Histoire à des fins identitaires (1). Partant, l’œuvre du Puy du Fou resterait représentative d’une réaction anti modernité caractéristique des milieux conservateurs et traditionnalistes chrétiens. La conclusion qu’en tire M. MAZEAU, qu’il développe dans un ouvrage publié de manière concomitante, est que l’Histoire doit s’émanciper de tous les discours promouvant la Nation et l’identité nationale (2).

L’universitaire, dont l’article est au demeurant parcouru d’erreurs voire de contre-vérités (3), s’inscrit dans la réflexion de l’historienne Suzanne CITRON (1922-2018) (4) qui avait notamment pour ambition de refonder l’enseignement de l’Histoire de l’École primaire au Lycée en l’expurgeant de tous liens avec l’idée nationale. Cette orientation tout aussi idéologique que le nationalisme lui-même a abouti à la fondation d’une association en 2005 : le Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire (CVUH). En dépit de son titre pouvant inspirer au premier abord la neutralité de la science historique dont il serait le gardien, ce comité réunit surtout des historiens de gauche et d’extrême gauche dont la « vigilance » cible avant tout, et bien évidemment, les adversaires politiques. Véritable vice ayant masque de vertu, ledit comité a, en fait, pour objectif de faire croire que tout ce qui se rattache de près ou de loin à l’histoire nationale est dans le meilleur des cas controversé et suspect voire, dans le pire des cas, condamnable.

L’article de M. MAZEAU est ainsi représentatif de ce « combat culturel » qu’il prête au Puy du Fou mais qu’il mène en réalité avec d’autres historiens, pour imposer une vision de « la bonne histoire » : celle qui serait par nature objective et neutre à laquelle viendrait en repoussoir une histoire orientée et à rejeter.
Qu’en est-il réellement ?

Qu’est-ce que le roman national ?

Ce que les historiens du CVUH contestent dans l’oeuvre du Puy du Fou est une vision identitaire de l’histoire véhiculée par le « roman national », un genre qu’ils attaquent vivement. Il l’est d’autant plus que la dégradation de l’enseignement de l’histoire dans les écoles, collèges et lycées s’accompagne, de nos jours, d’un véritable intérêt populaire pour le passé comme en témoignent le succès des émissions de Stéphane BERN, Franck FERRAND et de manifestations telles les Journées du Patrimoine (5). L’écho réel que rencontre le Puy du Fou au sein de la population – et au-delà même de la France – ne fait que confirmer cet intérêt ; véritable demande culturelle à laquelle répond une vulgarisation historique et un roman national au grand dam de M. MAZEAU et du CVUH.

Qu’est-ce donc que ce roman national qui cristallise tant de la part de ses détracteurs et opposants mais continue d’émerveiller un plus grand nombre par ailleurs ? Le roman national est une forme de narration historique qui a pu désigner des choses très différentes selon les époques (6). L’historien David GAUSSEN a ainsi montré que bien avant la Révolution française, la Monarchie capétienne avait déjà son propre roman dans lequel étaient exaltées ses origines et sa légitimité. C’est cependant au XIXe siècle, à la confluence des littératures romantiques et nationales, que se structure véritablement le roman national tel que nous l’entendons aujourd’hui. De manière générale, il se présente comme une histoire racontant l’Histoire et dans laquelle les faits s’organisent au sein d’une destinée commune dont le personnage central n’est autre que la Nation. D’un côté le roman national a pu se présenter comme une fiction littéraire n’hésitant pas à faire intervenir des éléments légendaires, miraculeux ou prophétiques ; de l’autre comme une fresque présentant la France telle une entité déjà existante sur le temps long (depuis l’Antiquité) et mettant en perspective des personnalités et des événements fondateurs dont la succession au fil des siècles, les actions et les conséquences, aboutissent à la naissance d’une véritable nation française. Ce genre de fresque a été particulièrement représentée par une école historique à laquelle le nom de Jules MICHELET (1798-1874) est resté attaché.

© La reddition de Vercingétorix à Alésia par Lionel ROYER (1889).
La geste intéresse davantage le roman national que l’exactitude historique (ici des équipements romains fantaisistes).

Contemporain du mouvement romantique, issu de la bourgeoisie intellectuelle libérale et anticléricale, profondément influencé par les idéaux révolutionnaires de 1789, MICHELET a affirmé une « histoire totale » cherchant à expliquer le parcours de la nation française au fil des siècles (7). Il n’est pas le seul historien du roman national mais par l’ampleur de son oeuvre il en est considéré comme l’un des fondateurs modernes. Pénétré par « le sens des grandes forces collectives », il a surtout cherché à faire revivre dans son intégralité la chair historique, écrivant l’Histoire avec « un goût de l’homogène et de la continuité » comme a pu l’analyser Roland BARTHES (8). Ce faisant, il lègue une vision de l’histoire schématisée, souvent bipolarisée autour de forces contraires (le Christianisme et la Révolution par exemple). L’histoire de MICHELET est celle de « chaînes d’identités » où les destins individuels, ceux des rois ou de personnes (Jeanne d’Arc par exemple), annoncent ce que sera plus tard le Peuple français et la France. Cela amène l’historien a idéalisé une période comme le Moyen-Âge, matrice de l’époque moderne, et à projeter celui-ci dans une France vécue comme une personne. Cette France transcende dès lors ceux qui la constituent pour incarner l’idée d’une unité harmonieuse supérieure.

Historien d’une France républicaine à la recherche de son propre récit, MICHELET ne prétend pas à l’objectivité. Bien au contraire, il projette ses passions et ses émotions dans son écriture, non sans érudition mais à partir d’un puissant inconscient idéologique. L’histoire de MICHELET est une histoire vivante qui a marqué des générations d’historiens et qui a, incontestablement, ancré un roman national dans la psyché française. Étudiant cependant le passé avec une vision déformée par les lunettes du présent – et le biais de l’idéologie républicaine – MICHELET a depuis été remis en cause par les évolutions de l’épistémologie et de l’historiographie (9).

Si aujourd’hui le roman national ne peut plus être confondu avec l’écriture de l’Histoire au sens moderne est-il pour autant condamnable dans son intégralité ? Partant d’une trame factuelle qu’il romance et idéalise, il n’en demeure pas moins attaché à un fil historique permettant aux non historiens – c’est-à-dire l’immense majorité de la population pour ne pas dire la société – de renouer justement avec l’Histoire. Une histoire, il est vrai, inexacte mais qui est la première passerelle vers la vulgarisation puis, au-delà, la spécialisation. Si le roman national n’est plus l’Histoire proprement dite, par son caractère vivant il n’en demeure pas moins un créateur d’intérêt pour celle-ci, si ce n’est l’indispensable point d’entrée.

C’est ce pari que tente – visiblement avec succès – le Puy du Fou nonobstant l’opposition de ses détracteurs qui refusent de voir dans leurs contemporains cette demande d’ancrage dans le passé. Une demande qui s’opère, qu’on le veuille ou non, à partir d’une identification de la chair de la société actuelle avec celle du passé. Si l’Histoire, par la complexité de ses acteurs et de ses aléas, ne se laisse pas enfermer dans le roman national, ni dans une intention politique identitaire étroite, peut-on dire pour autant que l’identité des hommes, des groupes, des peuples, des civilisations n’existe pas ? L’Histoire dit justement le contraire que ce soit aux sources du réel comme de ses représentations les plus fantasmées.

Surtout, le procès en roman national et inexactitudes historiques intenté au Puy du Fou par certains universitaires n’a pas lieu d’être pour la bonne et simple raison que le Puy du Fou n’a jamais été une université, un IEP, ni une grande école, et encore moins avoir prétendu de près ou de loin vouloir se substituer à un quelconque organisme d’enseignement de l’histoire. Cela est d’autant plus ridicule que le principe même de cette critique devrait aussi, en toute logique, conduire ces universitaires à s’en prendre avec la même conviction au parc Astérix et à la vision qu’il véhicule des civilisations celte et romaine. Voire à la vision des Amérindiens ou autres peuples telle qu’elle apparaît dans l’univers de Disneyland Paris.

© Jeanne d’Arc par Jean-Auguste-Dominique INGRES (1854).
Le roman national fait intervenir le divin dans la narration historique.

Derrière certains historiens se cachent des militants politiques

La question du roman national ne dit, au fond, qu’une chose : l’Histoire reste un objet profondément et passionnément politique. Pourtant, l’historien se doit d’être nuancé et conscient de la complexité des événements au point d’y gagner une authentique probité et reconnaissance intellectuelles. C’est toute la difficulté d’un métier dont l’écriture sera toujours inachevée et en tension du fait des nécessaires interprétations à donner à son objet même. Le bon historien n’a cependant pas pour mission de fournir des argumentaires idéologiques et médiatiques ; encore moins à se présenter comme un militant politique ce qui en soi et d’emblée le disqualifie ès qualités. Il devrait même, en toute honnêteté, pouvoir écrire des choses allant à l’encontre de ses convictions. On comprendra dès lors qu’au procès instruit au Puy du Fou en récit historique désuet et rétrograde, les contempteurs du roman national lorsqu’ils s’appellent Guillaume MAZEAU, Mathilde LARRÈRE et Laurence DE COCK ne sont guère à prendre au sérieux.

Quintessence du dévoiement idéologique de l’Histoire (et des sciences humaines de manière générale), ces historiens anti Puy du Fou relèvent non seulement d’un mélange des genres – une université instruit, un parc d’attraction divertit – mais également d’une démarche idéologique et politique plus soucieuse de faire entrer l’objet historique dans des cases de pensée que de l’éclairer. Comme ils le revendiquent, non sans orgueil, ils sont à « la recherche de vérité » (10) là où l’Histoire ne suit que des traces, tentant d’établir la réalité des choses qui se sont produites par le passé. Le reste n’étant qu’interprétations selon les apports d’une recherche toujours en mouvement au prisme de différentes époques.

L’objet de l’Histoire est le Réel et non la Vérité qui nous emmène dans une dimension morale. C’est cette recherche systématique d’un discours moralisateur, d’un jugement permanent étranger à l’histoire et réalisé à coup d’anathèmes médiatiques sur fond de cancel culture qui, paradoxalement, fonde l’immoralité caractéristique de ces militants politiques fussent-ils parés de titres universitaires. L’Histoire s’intéresse à la réalité des hommes fut-elle fallacieuse et faite de mensonges à commencer par le mensonge idéologique qui, en son essence et par définition, ne peut être vrai mais est pourtant bien réel quant aux tragédies humaines qu’il impose. La sincérité de cette « recherche de vérité » interroge par ailleurs de la part de personnes dont l’indignation, la rage et les haines intellectuelles et médiatiques sont si relatives – pour ne pas dire à géométrie variable – que ce soit à l’endroit de lois mémorielles, de personnes identifiées comme étant de droite, et d’autres causes relevant de ce que l’on appelle de nos jours la « bien-pensance » (11).

Ces historiens sont tous connus pour leurs engagements politiques à gauche voire à l’extrême gauche. À commencer par Nicolas OFFENSTADT (12) l’un des fondateurs de la CVUH avec Gérard NOIRIEL et Michèle RIOT-SARCEY. Cette dernière, partie du communisme, est aujourd’hui engagée dans les luttes intersectionnelles (13). À leurs côtés, on trouvera également Laurence DE COCK, membre du Parlement de la NUPES (14), qui fut présidente de la CVUH et préfaça la dernière édition du Mythe national de Suzanne CITRON. Mathilde LARRÈRE, également membre de la CVUH, a accompagné Jean-Luc MÉLENCHON du Parti de gauche au Parlement de la NUPES (15). Quant à Guillaume MAZEAU, il fut le thésard de Jean-Clément MARTIN lui-même descendant de l’école d’Albert MATHIEZ et de Georges LEFEBVRE, autrement dit l’école historique marxiste de la Révolution française.

À la façon d’un MICHELET qu’ils vouent aux gémonies, ces historiens font pourtant, eux aussi, de l’histoire avec des lunettes politiques et à partir de schèmes idéologiques bien identifiés. Tous infirment le mot de François FÉNÉLON (1652-1715), certes discutable, selon lequel « Le bon historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays » (16) mais à la différence du grand historien de la IIIe République qui cherchait à construire à sa manière une unité de la Nation, les militants contemporains du « vivre-ensemble » ajoutent à leur idéologie le cynisme de la déconstruction anthropologique.

© L’acteur Richard TAYLOR dans le film de Richard THORPE, Ivanhoe (1952).
Le film hollywoodien s’inspire de l’oeuvre de Walter SCOTT (1771-1832), écrivain romantique écossais et auteur de romans historiques. Dans Ivanhoe, l’Angleterre médiévale est idéalisée avec la transposition de l’idée d’unité nationale (XIXesiècle) sur une époque féodale (XIIe siècle).

L’Histoire ne forme pas des patriotes mais l’École si

Si la notion de roman national apparaît, donc, bien plus ancienne et plus différenciée qu’on ne pourrait l’imaginer, c’est essentiellement avec la IIIe République et la naissance d’une instruction nationale qu’elle naît telle que fustigée de nos jours par les idéologues de gauche. De Suzanne CITRON à Nicolas OFFENSTADT, les militants du CVUH mettent en avant un engagement soit-disant “civique” et « républicain » devant constituer une digue intellectuelle contre l’extrême droite nationaliste et patriote. Tous professent du même credo : l’histoire n’a pas à former des patriotes et M. MAZEAU de s’indigner que « Les données collectées lors d’une enquête récente confirment la dangerosité de ces usages du passé : pour une partie des élèves de collège, l’histoire racontée au Puy du Fou serait plus fiable que celle de l’école, accusée d’être « officielle » et mensongère. » (17) Quand bien même cela serait-il vrai à qui revient la faute de manipulations idéologiques qui n’ont cessé de creuser la défiance vis-à-vis de l’institution scolaire ?

Durant des générations, l’Éducation nationale est restée aux mains de sociologues bourdieusiens et d’idéologues marxistes – aujourd’hui wokes – qui se sont acharnées à dénaturer et à pervertir une instruction qui se devait de rester gratuite (au sens désintéressée), neutre et respectueuse des élèves et des familles. Or combien de professeurs ont-ils confondu à dessein leurs salles de classe avec la cellule d’un parti politique ou d’une section syndicale ? Un Alexis CORBIÈRE (Lettres-Histoire) comme une Nathalie ARTHAUD (Économie-Gestion) en sont les exemples les plus caricaturaux dont on imagine sans peine le genre de « cours » qu’ils ont pu donner à leurs élèves des années durant.

Le ver n’était-il cependant déjà pas dans le fruit quand on sait que l’école républicaine a, elle aussi, été conçue dès l’origine comme une arme contre les opposants de la République ? Les hussards noirs avaient ainsi pour mission de faire accepter le nouveau régime par les Français partant de combattre les deux adversaires identifiés de la République : la Monarchie et le Catholicisme. Voilà pourquoi l’École française reste – très certainement plus qu’ailleurs exception faite des pays autoritaires – une institution éminemment politique et politisée davantage en charge d’une éducation que d’une instruction comme son nom l’indique par ailleurs.

Les hussards de la République avaient cependant pour eux un esprit de vocation, l’idée d’une transcendance, une rigueur intellectuelle que l’on chercherait en vain, de nos jours, dans nombre de salles des professeurs d’écoles, de collèges et de lycées. Ils avaient pour eux une exigence personnelle et pour leurs élèves une estime qui ont fait vivre des générations durant l’idée méritocratique. Leur élitisme était généreux et ouvert contrairement au monde de l’entre-soi d’un Jean-Clément MARTIN ou d’un Guillaume MAZEAU qui voudraient faire de l’histoire une science uniquement réservée à des spécialistes afin de mieux pouvoir en contrôler les orientations idéologiques. La discipline serait ainsi confisquée au profit d’une hypercritique intellectuelle uniquement réservée à une caste académique et militante dont l’objectif serait de relativiser (et de faire oublier) ce qui gêne d’un côté et de magnifier entre hier et aujourd’hui de l’autre. Bref, c’est la volonté d’écrire un autre roman mais en rendant, cette fois, la confrontation des idées et des analyses non souhaitable. À la manière d’un terrorisme intellectuel qui marginaliserait d’entrée de jeu ses contradicteurs, il n’y aurait ainsi qu’une façon d’aborder les faits (18).

Si l’histoire n’a pas pour vocation de former ni des patriotes ni des citoyens, il n’en est pas de même pour une instruction civique dont l’École républicaine s’est donnée pour mission d’en faire le ciment éducatif de la société dès le XIXe siècle. Qu’elle fût par la suite nommée et renommée Éducation civique, Éducation Civique Juridique et Sociale ou Enseignement Moral et Civique, sa réalité demeure fondamentalement la même : faire comprendre qu’il ne peut y avoir de société sans valeurs partagées et que ce partage implique d’abord des devoirs et ensuite des droits. Cela fait malheureusement depuis longtemps que l’école actuelle ne répond plus à sa principale mission qui est de transmettre à la fois connaissances et valeurs partagées. Pire, elle a inversé la hiérarchie du sens commun faisant désormais passer les droits des individus devant les devoirs du citoyen. Cependant, quelle que soit l’appellation de l’enseignement – et si les mots ont encore un sens -, il ne pourrait y avoir d’Éducation civique digne de ce nom sans devoirs dont le premier demeure celui de la défense du pays et de la Nation.

Si l’histoire n’a pas vocation à former des patriotes – à savoir des personnes suffisamment amoureuses de la terre de leurs pères pour vouloir en défendre et féconder l’héritage -, elle n’en demeure pas moins toute entière traversée de luttes, de sacrifices, de causes et de héros. N’en déplaise aux partisans d’une histoire mondiale dont font partie les détracteurs du roman national mais c’est d’un groupe culturellement homogène qu’est née la Cité dont l’appartenance se fondait sur un seul et premier devoir : sa défense. Ce n’est donc pas l’Éducation civique mais l’Histoire qui trace le chemin qui va de la cité-État à l’État nation. Alors si l’histoire en tant que discipline scientifique n’a pas à former des patriotes, elle n’est pas non plus étrangère à l’intérêt profond porté à la terre et à la communauté culturelle qui l’habite, et c’est cela qui fonde in fine le patriotisme. L’histoire occupe ainsi une place aussi naturelle qu’elle est essentielle dans l’enseignement de défense et la géopolitique. Elle demeure profondément liée à l’Esprit de défense si l’on comprend que celui-ci dépasse les seuls intérêts marchands et économiques d’une société à un moment donné. Une communauté humaine sans histoire et sans patriotes ne pourra pas conscientiser un Esprit de défense. Inversement, il ne pourra jamais y avoir de patriotisme sans un rapport amoureux à la terre des pères, et cela passe par l’Histoire qu’elle soit ou non déformée au prisme du roman national.

© PINCE (Robert), Ma première histoire de France, Éditions Milan, 2019, 40 p.

Et le Puy du Fou dans tout ceci ? Il reste plus que jamais conforme à ce qu’il est à savoir un parc d’attraction à succès qui – par le divertissement – donne à aimer l’Histoire de France plus qu’à l’analyser comme le ferait un cours d’histoire : ce qu’il n’est pas. Fictif tout en détenant une part de réel, le roman national est-il donc nécessaire ? En fait, la question qu’il pose ne devrait pas relever de l’utilité si ce n’est à vouloir se poser la question de la place du rêve dans nos existences. Le rêve nous est-il utile ? On pourrait aussi s’interroger autrement à savoir ce que seraient nos vies sans le rêve ? Pour les uns, il permet d’avancer et de déplacer des montagnes ; pour d’autres sa confusion permanente avec le réel peut présenter des dangers. Le roman national sert avant tout à imager l’Histoire à un âge où les individus ne sont pas encore capables de prendre une conférence en notes ni d’accéder aux concepts permettant d’approfondir la science historique.
En d’autres termes, il permet l’éclosion d’un intérêt pour l’Histoire, voire d’une première conscience historique dès l’âge de l’enfance. Libre ensuite à certains de ces enfants devenus adultes, de vouloir creuser le sillon de la science du passé aidés en cela par des Maîtres dont l’érudition, la droiture, la capacité à distinguer un fait d’une opinion ne feront pas défaut.

_______________

  1. Cf. The Conversation [en ligne]. MAZEAU (Guillaume), « Le Puy du Fou : sous le divertissement, un « combat culturel », 29 mars 2019. Disponible sur https://theconversation.com/le-puy-du-fou-sous-le-divertissement-un-combat-culturel-113888 [consulté 4 août 2023].
  2. Cf. DE COCK (Laurence), LARRÈRE (Mathilde), MAZEAU (Guillaume), L’Histoire comme émancipation, Agone, 2019, 128 p.
  3. Cf. Le droit de réponse exercé par le Puy du Fou à la suite de MAZEAU (Guillaume), « Le Puy du Fou : sous le divertissement, un « combat culturel », op. cit.
  4. Cf. CITRON (Suzanne), Le mythe national. L’Histoire de France revisitée, Éditions de l’Atelier, 2019, 357 p.
  5. Cf. On y ajoutera aussi des succès de librairie comme DEUTSCH (Lorànt), Métronome. L’histoire de France au rythme du métro parisien, Pocket, 2014, 432 p.
  6. Cf. Pour approfondir cette question lire GAUSSEN (David), Qui a écrit le roman national ? De Lorànt Deutsch à Patrick Boucheron, l’histoire de France dans tous ses états, Éditions Gaussen, 2020, 253 p.
  7. Cf. MICHELET (Jules), Histoire de France, Flammarion, 2013, 576 p.
  8. Cf. BARTHES (Roland), Michelet, Seuil, 1995, 192 p.
  9. Cf. SAMARAN (Charles) dir. L’Histoire et ses méthodes, Encyclopédie de la Pléiade, Bruges, Gallimard, 1961, 1174 p. BOURDÉ (Guy) et MARTIN (Hervé), Les écoles historiques, Seuil, 1983, 418 p. CAIRE-JABINET (Marie-Paule), Introduction à l’historiographie, Armand Colin, 5e éd. 2020, 224 p.
  10. Cf. MAZEAU (Guillaume), « Le Puy du Fou : sous le divertissement, un « combat culturel », op. cit.
  11. Cf. Revue des Deux Mondes, « Les bien-pensants. De Rousseau à la gauche « morale » l’histoire du camp du bien », février-mars 2016, 224 p. Lire également MORICE KERNEVEN (Ayrton), « Franck Ferrand « réac » : quand Libération nous offre un cas d’école de mauvaise foi et d’hypocrisie », in Le Figaro, 18 juillet 2023.
  12. Cf. OFFENSTADT (Nicolas), L’histoire, un combat au présent, Textuel, 2014, 96 p.
  13. Cf. VALENTIN (Pierre), « L’idéologie woke. Anatomie du wokisme », FONDAPOL, juillet 2021, 60 p. Théorisée par la juriste américaine Kimberle Williams CRENSHAW, et s’inspirant de la lutte des classes marxiste, l’intersectionnalité est l’autre nom du Wokisme qui n’entrevoit l’Humanité que sous un ensemble de dominations et d’exploitations qu’il faut combattre en faisant converger et se recouper (intersections) toutes les grandes luttes sociales et sociétales contre les inégalités et discrimination qu’elles soient raciales, économiques et sociales, de genres, sexuelles, religieuses. Partant, l’idéologie intersectionnelle/woke préconise la déconstruction de toutes les normes anthropologiques qui fondent les identités ethniques, culturelles, sexuelles, sociales.

Formation au comportement à l’ENSOA

École nationale des sous-officiers d’active
Le concept andragogique de la formation au comportement à l’ENSOA
Par Denis ROUSSEL – IHEDN Poitou-Charentes [Comité Deux-Sévriens]

Dans les précédents bulletins de l’AMOPA 79, nous vous avions présenté plusieurs innovations pédagogiques réalisées dans divers établissements scolaires du département. Cette année, nous avons souhaité vous faire découvrir la singularité et la modernité de la formation professionnelle supérieure de l’école nationale des sous-officiers d’active, sise à Saint-Maixent-l’École. 

Créée en 1963, (*1) l’ENSOA est une école de commandement qui forme de futurs chefs, à la fois chargés du commandement de contact mais qui sont aussi des techniciens sur lesquels les officiers vont s’appuyer dans des domaines de spécialités très variés. Son cœur de métier est d’assurer la formation générale de tous les sous-officiers(active et réserve) dont l’armée de terre a besoin (38.500 sur un effectif total de 130.000 militaires). Sa mission principale est donc d’assurer la formation générale de 1er niveau (formation initiales), ainsi que la formation générale de 2ème niveau (formation de perfectionnement) de l’ensemble des sous-officiers de l’armée de Terre, quelle que soit leur spécialité. Elle composée de 600 personnels permanents (dont des enseignants de l’Éducation nationale), qui accueillent quotidiennement plus de 1300 stagiaires. Elle a formé plus de 150.000 élèves depuis 60 ans (*2) et, pour répondre aux enjeux actuels de la défense nationale et européenne (risques de guerre de « haute intensité »), dans notre monde instable et dangereux, elle formera de 6.000 à 7.000 élèves et stagiaires chaque année, d’ici 2026 (*3), répartis dans 5 bataillons (de 300 à 1200 soldats l’unité) constitués chacun de 2 compagnies (de 100 à 250 soldats chacune).   

En 2009, elle est devenue la Maison-mère des sous-officiers, seule référente en France, en matière d’andragogie dans la formation des futurs cadres de l’armée de terre et des futurs formateurs du quotidien que sont les chefs (le galon de sergent est le premier de sous-officier). La formation générale de 1er niveau a été initiée en 1998 et celle des réservistes en 2005, avec une partie de la formation générale de 2ème niveau. Elle organise et évalue une formation générale et professionnelle, initiale et continue, exigeante.

Un partenariat avec de grandes écoles et une dimension internationale

La formation générale de 1er niveau a pour objectif de faire acquérir au futur sous-officier, quel que soit son recrutement (interne ou externe), un comportement se manifestant aux plans moral, physique et intellectuel, par une aptitude à commander, instruire et éduquer un groupe d’une dizaine d’hommes conformément à l’éthique militaire, au respect de la dignité des hommes et au respect des lois de la nation

La formation initiale varie de 4 à 8 mois en fonction du recrutement 

Durant sa scolarité, variant de 4 mois (25,5 ans en moyenne avec 75% de bac et 5,5 ans de service dans le corps de troupe dont 13% de femmes) à 8 mois (21,8 ans en moyenne recruté dans le civil avec 40% de bac+2, avec un taux de féminisation de 22%, en hausse de 1 à 2 % par an) selon son recrutement, le futur sous-officier cultivera savoir-faire et savoir-être (pour savoir agir), fermeté du caractère et capacité à maîtriser la force, dans le respect de la dignité humaine. Cette formation élémentaire de soldat et de chef, qui est au centre de la conquête de la supériorité opérationnelle de l’armée de terre, est complétée par une formation spécialisée de 1er niveau (en école de spécialité) et s’achève par l’attribution du Brevet de spécialiste de l’armée de Terre (BSAT). 

La cérémonie de remise de galons symbolise l’achèvement de leur formation et donc leur aptitude à exercer de responsabilités humaines et techniques. (*4)

Certification professionnelle de niveau 5 : « Assistant management opérationnel » 

La formation générale de 2ème niveau se présente sous la forme d’un stage de perfectionnement de 2 semaines. Elle consiste à fournir à chaque sous-officier les connaissances théoriques et les compétences tactiques, les méthodes de réflexion et les outild’aide à la décision complémentaires à l’instruction dispensée lors de la formation initiale le rendant apte à remplacer son chef de section. Elle prépare ainsi le sous-officier, après 5 à 6 années de service, à sa deuxième partie de carrière qui le conduira progressivement à de plus hautes responsabilités. Cette formation est complétée par une formation technique de 2ème niveau (en école de spécialité) et se termine par l’attribution du Brevet supérieur de technicien de l’armée de Terre (BSTAT), qui confère à terme l’aptitude à exercer le commandement d’environ 30 hommes. La formation de 5 mois suivie de 3 semaines de stage lui permet d’obtenir une Certification professionnelle de niveau 5 : « Assistant management opérationnel »

L’ENSOA est également responsable du suivi de la préparation de l’examen conditionnant l’accès à cette formation. Cette préparation d’une année se déroule au sein des formations d’emploi des candidats (enseignement à distance).

Préparations et concours, stages et formations

L‘ENSOA assure une préparation aux différents concours et examens qui jalonnent la carrière d’un sous-officier. Elle organise une préparation militaire supérieure annuelle d’une durée de trois semaines. En partenariat avec de grandes écoles (INSEEC et IPAG), l’école organise des préparations militaires découverte d’une semaine au cours desquelles des étudiants, futurs cadres d’entreprise, sont mis en situation de leadership et de prise de décisions dans un contexte de fatigue et de stress. Elle organise également différents stages comme le « stage annuel des Présidents des sous-officiers de l’armée de terre » ; celui des « Formateurs de formateurs » ou encore celui des « Référents instruction des régiments ». Elle participe par ailleurs à des journées « Enseigner la défense » avec des professeurs du public et du privé sous l’Égide du « Trinôme académique » (*5). Enfin, elle accueille chaque année scolaire une promotion mixte d’une cinquantaine de collégiens « Cadets de la défense ». Enfin, dans le cadre de la rénovation de l’approche partenariale entre l’armée de terre et des pays africains francophones, l’ENSOA accueille, depuis 2023, des élèves sous-officiers en provenance notamment de la République de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Gabon. Ce partage de compétences vise à contribuer concrètement à la stabilité régionale en Afrique centrale comme en Afrique de l’Ouest et à l’interopérabilité entre nos armées. Plusieurs autres délégations étrangères sont régulièrement accueillies dans cette école à la réputation internationale bien affirmée.

« L’École te formera dans un creuset d’acier… » (*6)

La direction générale de la formation comprend 3 divisions : la division « Formation au comportement et à l’enseignement général » ; la division « Instruction et entraînement militaire » et la division « Entraînement physique militaire et sportif ».

La formation au comportement militaire à l’aune des Forces morales est donc l’une des trois composantes essentielles (Savoir (10%), Savoir-faire (70%) et Savoir être (20%)) de la formation générale du militaire. Elle concerne tous les soldats et tous les niveaux hiérarchiques. Elle permet l’acquisition de compétences spécifiques indispensables aux militaires, à savoir : le commandement, le comportement, la pédagogie, l’éducation, la communication et le positionnement. L’enseignement de cette matière implique un investissement permanent et une exemplarité des cadres fédérant de manière immanente toutes les qualités du CHEF.

La formation au comportement militaire, qui est « le ciment de la formation » recherche le développement éthique de la personne suivant 4 axes : l’Homme, le citoyen, le soldat et le chef

Clef de voûte des formations de ce cursus, elle en garantit la cohérence d’ensemble au travers des 5 savoirs suivants :

  • Se situer : Comprendre l’environnement dans lequel le combattant va évoluer ;
  • Commander : Gérer avec intelligence, en s’adaptant aux situations ;
  • Communiquer : Faire passer un message tout en restant à l’écoute ;
  • Instruire : Transmettre des savoirs faire, des connaissances ;
  • Éduquer : Développer la personnalité de chacun et la culture militaire.

Cet enrichissement intellectuel et immatériel du sergent participe au « renforcement du lien à l’institution et au corps des sous-officiers et scelle les fondations de l’esprit guerrier ».

Cette mission de la formation au comportement militaire est renforcée par la mise en œuvre, depuis 2 ans, du projet pédagogique @ssiMili fondé sur un rythme d’apprentissage, qui possède 3 finalités : – Permettre aux élèves de comprendre et de mémoriser sur le long terme une formation dense dans un environnement nouveau ; 

  • Adapter l’outil de formation et la pédagogie à une population digital native
  • Former les futurs formateurs de l’armée de Terre. 

Le TTA 150 de 2022, Un référentiel d’animation de la politique métiers

Le « Texte toutes armes 150 », validé par la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) est un document destiné aux cadres de contact de l’armée de terre, de toutes les armes et services, leur permettant d’acquérir, de maintenir et d’enrichir les connaissances indispensables à l’exercice de leur métier. Dans le cadre de leur responsabilité liée à la fonction d’instructeur, d’éducateur, de formateur et de chef. Il se compose de 22 titres soit un peu plus de 3.000 pages. Dans le « Titre III : Le rôle du formateur » on y trouve les fondements de la formation militaire (programme, progression et procédure d’évaluation) ; la méthode et les outils pédagogiques de préparation d’une séance, ainsi que les conditions de réalisation d’une formation d’adultes de qualité.

Une pédagogie active qui utilise les sciences cognitives et des outils numériques

La cellule FCM est forte de 8 formateurs experts vise à faire de ces jeunes gens de futurs cadres « au contact » en maintenant toujours « l’Humain au centre du dispositif ». Cette composante de la formation initiale s’appuie sur les 4 piliers de l’apprentissage décrits par Stanislas DEHAENE (*7) que sont l’attention, l’engagement actif, le retour d’information et la consolidation mnésique. Elle développe et diffuse une pédagogie active innovante intégrant les sciences cognitives (*8) qui se traduit au quotidien au travers de 4 axes principaux : 

a) l’adaptation où chaque face à face pédagogique propose « une rupture de rythme » afin de permettre la relance de l’attention. Cette rupture, libre de forme, se matérialise par l’utilisation d’outils numériques (Socrative ; Kahoot ; Plickers ; Mindomo et Mindmap pour les cartes mentales ; 2000 tablettes numériques, smartphones et logiciels d’apprentissage…) (*9) ou tout autres procédés plus traditionnels. De même, l’accès permanent (H24 et 7/7) à la Musette numérique du sous-officier (*10) permet aux stagiaires de différentes formations l’usage ad libitum de l’ensemble des cours, vidéos et tutoriels.

Ces applications sont utilisées de manière « programmée » : auto-évaluation avec feedback immédiat et corrections ; évaluer les stagiaires ; relancer leur attention (en milieu de cours) avec Plickers, par exemple et rendre plus attrayant pour les jeunes générations.

Chaque séance de formation a été repensée dans l’optique du « Moins mais mieux » afin d’alléger les cours tout en les recentrant sur les essentiels. 

b) La mise en pratique renforcée de la topographie et de la tactique par des mises en situation. Des parcours tactiques permanents permettent aux élèves de s’entraîner au travers d’exercices du cadre d’ordres d’une équipe. 

c) La personnalisation de la formation par la mise en place de temps de révision quotidiens intégrés à l’emploi du temps, durant lesquels les élèves réalisent des exercices ciblés destinés à les aider à préparer, mémoriser ou approfondir l’instruction dispensée. Ce créneau quotidien s’appuie sur l’emploi de moyens numériques individuels et permet un suivi au plus près de l’évolution des élèves, en particulier dans les cas de décrochage pour mettre en œuvre un suivi individualisé. 

d) L’implication et l’adhésion des cadres formés aux nouveaux outils pédagogiques et sensibilisés à une approche bienveillante basée sur l’acceptation de l’erreur et l’engagement actif de l’élève.    

L’École a aussi le projet d’utiliser des cours en ligne, des MOOC (Massive open online courses) qui sont des formations gratuites (initiales et continue), ouvertes et évolutives, interactives et ouvertes à tous, qui bénéficient des innovations issues du Web 2.0 et où l’apprentissage n’est plus vertical, de l’expert vers l’apprenant mais s’horizontalise grâce aux échanges entre apprenants et en lien avec l’équipe pédagogique (*11).

« Mieux apprendre à apprendre » et « Apprendre à mieux apprendre » 

Cette pédagogie permet aux formateurs de « mieux apprendre à apprendre » et aux élèves d’« apprendre à mieux apprendre » donc de comprendre et de mémoriser plus profondément et durablement. Il s’agit de rendre les stagiaires acteurs de leur formation tout en facilitant leur accès aux supports, outils et didacticiels. Cette « permanence de la formation » permet également aux stagiaires de combler leurs lacunes plus facilement. In fine, cette formation spécifique professionnelle singulière vise à élargir, pour chaque soldat, sa capacité d’acquisition de forces morales pour le développement de compétences permettant l’adaptation, la résilience morale et physique, la gestion des situations complexes et la prise de décisions dans l’incertitude. Toutes connaissances et compétences transférables ensuite dans la vie civile et professionnelle.

L’utilisation expérimentale de l’intelligence artificielle 

L’expérimentation en Intelligence artificielle consiste à tester, sur deux promotions de sous-officiers en formation générale de 2ème niveau, l’outil Deep Memory qui, à partir de flashcards (question/réponse) permet de réviser ses cours en s’interrogeant. L’Intelligence artificielle se situe donc ici à deux niveaux :

  • La génération automatique de question et réponse associée ;
  • La fréquence de la présentation de la question à l’élève est fonction de son taux de réussite précédent à la même question.

Cette pédagogie pro-active au service d’une formation qualifiante repose donc sur :

  • La prise en compte pragmatique des apports des sciences cognitives et des 4 piliers de l’attention ;
  • L’adaptation des séances de cours en prenant en compte la courbe de l’attention ;
  • Le recours aux outils numériques afin de la relancer ;
  • Les travaux personnels encadrés ;
  • La mise en place de parcours permanents à orientation tactique, topographique, etc… ;
  • La diffusion des bonnes pratiques numériques et pédagogiques ;
  • La diffusion des outils et moyens matériels (tablettes, routeurs 4G et Wifi professionnel).

Ces outils sont utilisés également pour « enrichir » les présentations (Prezi ; Wooclap…) (*12)

Une formation professionnelle post bac reconnue en constante évolution

Nous l’avons vu, les cours sont conçus par une cellule d’officiers formateurs experts, qui intègre à son programme les TICE (techniques d’information et de communication de l’enseignement) et leur mise en œuvre à vocation à être systématiséeCette évolution participe activement à l’avènement du combattant Scorpion (*13) et s’inscrit dans l’orientation prise par l’armée de terre dans son virage numérique. Les qualifications associées à la validation des acquis de l’expérience (VAE) permettent d’obtenir des équivalences dans le civil. La cellule FCM assure le suivi pédagogiques des instructeurs et travaille à finaliser des formations qualifiantes de cadre, en formation initiale, de formateur spécialisé confirmé et de concepteur pédagogique et formateur de formateur et même d’ingénieur de formation et responsable de projets. De même, elle s’investit dans des missions d’expertise auprès des lycées militaires et des Centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM) notamment. 

On peut malgré tout se demander si ces formations intensives, dispensées aux élèves dans des périodes d’apprentissage, si contraintes du fait de limites budgétaires, ne seraient pas encore plus efficaces avec une semaine ou deux supplémentaires, compte tenu des enjeux et de la masse de connaissances nouvelles qui leur est nécessaire d’assimiler, pour les traduire en compétences opérationnelles. Une formation générale de 3ème niveau pour devenir Chef de section sera proposée en 2024- 2025.

Les membres de l’AMOPA 79, invités par le général Alain Didier, commandant l’ENSOA, auront l’occasion de découvrir l’école et ses formations, in situ, avant d’assister à un baptême de promotion, le jeudi 9 novembre 2023.   

Remerciements pour leur précieuse collaboration à :

  • Général de brigade Alain DIDIER, commandant l’ENSOA et la base de défense de Poitiers-Saint Maixent.
  • Flora MATTIUZZO, Ingénieur civil, conseiller pédagogie et prospective du général.
  • Chef de bataillon Marc CAPELLARO, référent de la formation au comportement du militaire.
  • Jean-François CAILLE, chargé de la certification professionnelle.


Notes
 :

  • (*1) Elle succède à l’Ecole militaire d’infanterie, créée en 1881. La ville de Saint Maixent a pu ajouter « l’Ecole » en 1926. En 1925 elle était l’Ecole d’infanterie et des chars de combat. Elle s’est vue attribuer la devise : « S’élever par l’effort » en 1990. Son insigne représente une main armée d’un glaive dont la symbolique est attachée à la formation des sous-officiers.
  • (*2) l’ENSOA a fêté ses 60 ans avec des évènements en juin 2023 et à l’occasion du 14 juillet.
  • (*3) « L’ENSOA s’agrandit et durcit ses formations », in La Nouvelle république, Deux-Sèvres- actualité, vendredi 23 septembre 2022.
  • (*4) 5 cérémonies rituelles rythment la FG1 : La remise de l’arme (dans les premiers jours) ; la remise des képis, symbole de l’accès au statut de soldat professionnel (à la fin du 1er mois) ; la présentation au drapeau (à la fin du 2ème mois) ; le baptême de la promotion (à la fin du 3ème mois) et la remise de galons (dernière semaine de formation).
  • (*5) « Des professeurs du public et du privé à l’ENSOA », in La Nouvelle république, Saint-Maixent, samedi 9 février 2019. Les enseignants civils interviennent notamment en anglais et en relations internationales.
  • (*6) Extrait de la marche de l’ENSOA : « Le jeune chef » composée en 1970.
  • (*7) Psychologue spécialisé en neuropsychologie, qui travaille sur les représentations mathématiques, la lecture, le langage et la conscience. Il préside le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN)
  • (*8) A partir des travaux et des conseils pratiques d’Albert MOUKHEIBER, docteur en neurosciences cognitives et psychologue.
  • (*9Socrative pour améliorer l’engagement en classe, surveiller et évaluer l’apprentissage. Kahoot, plate-forme ludique utilisée comme technologie éducative pour réviser des connaissances et les évaluer avec des Quiz. Plickers : Application d’évaluation en classe inversée pour assurer le suivi des acquis essentiels et repérer les élèves en difficulté. Mindomo, logiciel de cartes mentales et conceptuelles pour développer des compétences essentielles d’apprentissage et de réflexion et la pensée critique en explorant des informations, en découvrant des éléments clefs et en identifiant leurs connexions avec des connaissances déjà acquises. Mindmap : cartographie mentale collaborative, pour organiser et structurer des idées, pour mieux mémoriser et retenir. 
  • (*10) Il s’agit d’une bibliothèque centrale de connaissances (base de cours officielle mise à jour régulièrement) utilisable tout le temps de la carrière, accessible sur tous supports numériques destinée à optimiser les formations. Le projet TENACE (Tablettes en environnement numérique pour l’accès en continu à l’Enseignement) rassemble de petits équipements et logiciels associés qui contribuent à la numérisation de la formation. Il concrétise la volonté de l’armée de terre de « former innovant et autrement »
  • (*11) Les MOOC sont une expérience d’apprentissage nouvelle et complémentaire. Ils sont intégrés à la politique de formation de l’ENSOA avec un bilan avec le formateur manager en fin de formation. Ils sont composés d’activités pédagogiques variées, de courtes vidéos animées de 5 à 10 minutes, de quiz, afin de vérifier l’acquisition des connaissances et d’exercices pratiques et travaux collaboratifs pour développer son réseau et ses compétences. Lorsque les épreuves sont complétées et réussies, l’étudiant peut valoriser son expérience grâce à un certificat de réussite. La dynamique de groupe est aussi privilégiée.
  • (*12Prezi : Logiciel de présentation pour faire des leçons attrayantes et faciles à mémoriser. Wooclap : Outil collaboratif pour interagir, capter l’attention et mesurer la compréhension.
  • (*13) le « programme Scorpion » vise à renouveler et moderniser les capacités de combat « au contact » de l’armée de Terre (dans des conflits de « haute intensité ») autour de nouvelles plateformes et d’un système d’information au combat unique

L’OURS ET LE RENARD (2023)

Article écrit le 21 juin 2023 par Nghia NGUYEN 
– 180e promotion Cardinal de Richelieu
– Professeur agrégé
au Lycée Jean Monnet (Cognac)

Recension du livre de GOYA (Michel) et LOPEZ (Jean), L’ours et le renard. Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, Paris, Perrin, 2023, 348 p.

L’ « histoire immédiate » en question

En dépit de son acceptation dans les cercles universitaires, l’ « histoire immédiate » – que l’on dit aussi « histoire du temps présent » – porte en elle une contradiction intrinsèque avec l’exercice même du métier d’historien à savoir le brouillage des informations et des contextes, des archives inaccessibles, et – pour le résumer plus simplement – l’absence de recul[1]. Cette contradiction est d’autant plus rédhibitoire que l’événement étudié porte non pas sur une évolution qui – quoique récente – est désormais achevée que sur une actualité inachevée, a fortiori une guerre.

C’est pourtant l’exercice auquel se sont confrontés Jean LOPEZ et Michel GOYA dans leur dernier ouvrage : L’ours et le renardHistoire immédiate de la guerre en Ukraine[2]. Un exercice d’autant plus redoutable qu’il concerne un conflit dont la dimension informationnelle et communicationnelle est inédite. Propagandes, censures, manipulations systématiques se font désormais à l’ère de l’INTERNET haut débit, des réseaux sociaux et des algorithmes biaisés qui nous font entrer dans la guerre cognitive.

Une guerre est toujours un affrontement politique et idéologique qui nécessite plus que tout autre événement une capacité de recul et de discernement entre les discours et les faits. La normalité est rompue et l’information devient une véritable arme dans un contexte où ceux qui savent se taisent alors que ceux qui occupent le devant des médias, souvent, ne savent pas. Seuls deux auteurs aussi avertis et chevronnés que Michel GOYA et Jean LOPEZ pouvaient se coller à la tâche : non d’écrire une histoire de la guerre en Ukraine (comme le laisserait entendre le sous-titre de l’ouvrage) mais de « mettre de l’ordre dans la masse des informations »[3] qui déferlent quotidiennement depuis plus d’un an quant à ce conflit. Ils sont, par ailleurs, conscients des limites de leur écriture qu’ils situent davantage dans une ébauche avec tous les risques de biais et d’erreurs que cela comporte, et qu’ils admettent d’emblée.

Historiens reconnus, Michel GOYA et Jean LOPEZ ne sont pas des universitaires de carrière. Le premier a commencé comme sous-officier dans l’infanterie mécanisée avant de devenir officier dans l’Infanterie de marine. Le second a d’abord été officier dans la Marine marchande avant de se lancer dans le journalisme et l’Histoire. Les deux se sont fait connaître par de remarquables travaux en histoire militaire qui font date et renouvellent par bien des aspects un genre mal-aimé dans les cénacles universitaires[4]. C’est donc avec une indubitable rigueur et une intelligence éclairée par un vécu de terrain – dont peu de professeurs d’Histoire peuvent se prévaloir – que les auteurs s’attachent à remettre de l’ordre dans les faits qui font la guerre en Ukraine depuis février 2022.

Qui plus est docteur en Histoire[5], M. GOYA met en avant un savoir-faire d’officier d’état-major, habitué qu’il fut durant des années à rédiger des fiches pour le CEMA.
M. LOPEZ, quant à lui, opère un va-et-vient permanent avec une histoire de la Deuxième Guerre mondiale qui fit déjà de l’Ukraine un lieu de combat de haute intensité[6]. Les deux esprits se questionnent et se répondent tout au long du livre, résumant des débats passionnés dès le déclenchement de l’ « opération militaire spéciale » russe. Jean LOPEZ pose des questions dont beaucoup sont en soi des développements auxquels répond l’ample culture militaire de Michel GOYA. Les deux hommes scrutent l’actualité de manière attentive et approfondie, et la rapportent à l’échelle du terrain, des rapports de force et de la confrontation tactique. Une géographie précise du champ de bataille émerge, qui vient structurer des considérations technico-tactiques souvent négligées si ce n’est incomprises du plus grand nombre. L’ensemble contribue effectivement à la clarification voulue par les auteurs.

Cependant, c’est d’abord dans l’histoire des relations entre l’Ukraine et la Russie que ces derniers veulent inscrire l’amorce de cette clarification. « Aux racines de la guerre » est un propos introductif qui fouille ces relations, essentiellement de la fin de la Première Guerre mondiale au déclenchement de l’ « opération militaire spéciale » (24 février 2022)[7]. Substantiel, il a le mérite de restituer la complexité de la trame historique, défaisant au passage certaines idées relevant davantage des propagandes pro-russe et pro-ukrainienne. La perspective est d’emblée posée. Elle sera factuelle, la plus précise possible en suivant le fil chronologique du conflit et évitera les biais partisans.

Les forces en présence

De manière classique le premier chapitre aborde les forces en présence, analysant les armées russe et ukrainienne comme des forces encore en mutation au moment où la guerre éclate. Au lendemain de la Guerre froide, les deux armées suivent une évolution comparable qui va dans le sens de la déliquescence des capacités et des moyens. Pour la superpuissance russe, la situation est particulièrement problématique. Le déclin démographique conjugué à la perte de territoires importants fait que la Russie subit une perte sensible de population. La Fédération d’aujourd’hui est ainsi deux fois moins peuplée que l’ex-URSS, et l’actuelle armée russe n’est plus l’Armée rouge de la Guerre froide ; encore moins celle qui a écrasé le Nazisme. Cela infirme au passage l’argument selon lequel la Russie serait encore capable de grands sacrifices au plan des pertes humaines.

La réforme des forces armées engagée en 2008 par Anatoli SERDIOUKOV, ministre de la Défense de 2007 à 2012, va dans le sens d’une professionnalisation et d’une modernisation à l’occidentale avec une conscription de complément en soutien. Cette réforme va dans le bon sens du point de vue de l’outil militaire russe qui reste puissant mais dont le redressement est encore inachevé en 2014. La Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) a été négligée dans des secteurs sensibles, et les savoir-faire tactiques ont été largement oubliés qui ne peuvent être réappropriés sur le court terme. Lorsque Vladimir POUTINE lance l’ « opération militaire spéciale », l’armée russe ne peut mobiliser qu’une force d’assaut réelle de 120 000 hommes seulement. Les guerres de Tchétchénie (1994-2000) et de Géorgie (2008) ont pu alerter sur certaines défaillances de celle-ci, mais l’intervention plus récente en Syrie en a conforté les illusions.

L’armée ukrainienne a suivi une évolution similaire sans pour autant connaître une réforme comparable à celle de SERDIOUKOV. Négligée, elle vit sur d’imposants stocks de matériels de la Guerre froide et garde, surtout, une culture tactique soviétique. Armée de conscription, elle n’est plus vraiment opérationnelle lorsque survient l’annexion de la Crimée en mars 2014. Comme en Russie, on trouve aux côtés des régiments de conscrits des bataillons privés, recrutés par des oligarques et organisés sur une base nationaliste. L’une des premières conséquences de la guerre qui débute sera d’intégrer ces Sociétés Militaires Privées (SMP) dans des forces armées en profonde restructuration.

C’est donc la guerre qui sera la grande réforme de l’armée ukrainienne à partir de 2014. Alors que la Crimée tombe facilement dans l’escarcelle russe, la situation est différente dans le Donbass où Kiev envoie l’armée pour contrer les séparatistes pro-russes. Moscou répond par l’escalade en appuyant les milices pro-russes par de véritables unités interarmes « non indentifiables », dont la puissance de feu et le professionnalisme font rapidement la différence[8]. La défaite ukrainienne fait comprendre l’urgente nécessité pour Kiev de réformer ses forces armées. Le pays aura sept années d’une paix relative pour s’y atteler. Le processus est cependant rapide avec la création d’un comité de coopération OTAN-Ukraine dès 2014.

Cette coopération se traduit très concrètement par une formation technique et un entraînement tactique renouvelés au niveau des compagnies et des bataillons ; la formation d’un véritable corps de sous-officiers ; la certification OTAN de forces spéciales ; la décentralisation du commandement ; la livraison de nouveaux matériels… Etats-Unis, Canada et Grande-Bretagne sont à la pointe de cette réorganisation accélérée des forces armées ukrainiennes, mais la grande plus-value réside surtout dans l’apprentissage d’une planification opérationnelle souple où c’est désormais la mission – et non plus la chaîne de commandement – qui paramètre le processus tactique. L’humiliation de 2014 introduit une mutation de la pensée tactique ukrainienne en rupture avec l’héritage soviétique et russe.

L’échec de l’offensive russe et la concentration des combats dans le Donbass

D’emblée, l’offensive russe de février 2022 est présentée par la Russie comme une « opération militaire spéciale » destinée à prendre le contrôle de l’Ukraine afin d’en chasser un gouvernement « nazi » sous influence étatsunienne. Il ne s’agit pas, selon la propagande russe, d’une déclaration de guerre au peuple ukrainien dont les militaires russes pensent qu’ils seront accueillis en tant que « libérateurs » d’un « peuple frère ». Pour les auteurs, ce discours expliquerait une certaine modération des frappes russes dans les premiers jours de l’opération. Cette volonté de ne pas s’aliéner la population sous-estime cependant le sentiment national ukrainien et la volonté de résistance qui en découle. Partant, elle illustre combien la propagande officielle vient biaiser la stratégie et la planification d’une opération majeure.

Facteurs aggravants : l’opération russe qui démarre le 24 février 2022 se donne des objectifs particulièrement ambitieux. Une attaque au nord, à partir de la Biélorussie, vise à prendre le contrôle de Kiev et à décapiter le pouvoir ukrainien. Une deuxième attaque à l’est vise à fixer et à neutraliser le corps de bataille ukrainien principal dans le Donbass. Une troisième attaque au sud cherche à prendre le contrôle de la façade maritime ce qui aurait pour résultat d’asphyxier économiquement le pays. Paradoxalement, le commandement de ces attaques simultanées reste à la fois centralisé mais géographiquement dispersé dans les trois districts différents d’où partent les forces russes. En clair, il n’y a pas d’unité de commandement au sein d’une chaîne très rigide.

Au nord, nonobstant la surprise initiale, deux batailles vont sauver Kiev. Celle de l’aéroport d’Hostomel au nord-ouest de la capitale et celle de Chernihiv au nord-est. La prise d’Hostomel aurait permis aux forces russes de se projeter quasiment dans Kiev, mais l’échec de ce premier assaut condamne celles-ci à emprunter les rares routes qui mènent jusqu’à la capitale ukrainienne. Les lourdes colonnes mécanisées russes s’entassent sur ces axes rapidement encombrés, séparés par l’immense réservoir du Dniepr situé au nord de la ville, et qui oblige toute force terrestre assaillante à se diviser. Bloqués dans la banlieue de Kiev à l’ouest de ce réservoir et à Chernihiv à l’est, les Russes n’ont de toute façon pas les forces suffisantes pour prendre d’assaut une métropole aussi importante.

Au nord-est, à Kharkiv, c’est également l’échec. La deuxième ville d’Ukraine n’est pourtant située qu’à moins d’une cinquantaine de kilomètres de la frontière russe. Majoritairement russophone, elle n’en est pas pour autant plus russophile, et les Ukrainiens parviennent à mettre en place une résistance suffisamment efficace pour contenir les Russes dans la banlieue nord.

Il n’y a donc qu’au sud que les forces russes connaissent une progression significative, parvenant à sortir de la Crimée pour faire tomber Melitopol et Marioupol à l’est ; Kherson à l’ouest. Cependant, à Marioupol, la résistance ukrainienne dans le complexe métallurgique Azovstal fixe et use d’importantes forces russes. Dans le secteur de Kherson, ces dernières ne parviennent pas à s’emparer de la ville portuaire de Mykolaïv ni à élargir la tête de pont sur la rive droite du Dniepr.

Fin mars 2022, l’ « opération militaire spéciale » ne progresse plus. Certes, les Russes sont parvenus à joindre la Crimée au Donbass mais on observe un enlisement dans les trois secteurs d’attaque. L’armée russe n’a pas de combattants en nombre suffisant et marque le pas devant les villes importantes. Avec le coup d’arrêt au nord devant Kiev et Kharkiv, et face à une « opération militaire spéciale » qui se transforme en une véritable guerre de haute intensité, l’offensive russe est un échec. Elle oblige Vladimir POUTINE a un mouvement de bascule vers le Donbass où se reconcentrent les forces retirées du nord. MM. GOYA et LOPEZ remarquent l’inflexion du discours politique à partir de ce moment. Alors qu’il était question d’une « dénazification » de l’Ukraine le 24 février, à partir du 25 mars il s’agit désormais de libérer complètement le Donbass.

Une deuxième phase se distingue donc avec une concentration des combats dans cette région divisée en deux oblasts – celui de Louhansk et celui de Donetsk – incomplètement contrôlés par les forces de Moscou. Les Ukrainiens temporisent tout en se renforçant grâce à l’aide occidentale, massivement américaine. S’il est encore difficile d’adapter une force encore largement équipée de matériels soviétiques, l’armée ukrainienne de 2022 ne ressemble plus à celle de 2014. Organisée en brigades territoriales et en brigades de manœuvre[9], alimentée par des vagues de mobilisation qui lui donne l’avantage numérique sur les forces russes, elle est désormais aguerrie et apprend à se servir rapidement du matériel occidental.

Ces livraisons d’armes concernent d’abord les munitions, l’armement léger et des systèmes antichars FGM-148 Javelin et N-LAW, mais avec l’intensification des combats elles montent rapidement en gamme avec des canons lourds, des systèmes antiaériens et des engins blindés. C’est dans le domaine de l’artillerie que l’occidentalisation des matériels va produire les effets les plus efficaces. La chose n’était pas gagnée d’avance avec l’hétérogénéité d’un parc d’artillerie où calibres et modèles se multiplient. On compte ainsi jusqu’à 9 systèmes d’artillerie différents en 155 mm ! Cependant, les CAESAR français et, surtout, les HIMARS américains rééquilibrent le rapport de force avec l’artillerie russe. Très mobiles, frappant plus loin et plus précisément, ces systèmes permettent aux Ukrainiens de reprendre l’avantage dès le mois de juillet.

La contre-offensive ukrainienne

Elle s’organise durant l’été où, après avoir donné le change dans le secteur de Kherson, les forces ukrainiennes surprennent les Russes avec une percée dans la région de Kharkiv. Dans un pays plat au climat continental comme l’Ukraine, la voie ferrée est essentielle pour le transport de pondéreux a fortiori pour les armées et leurs matériels. Elle est le moyen de transport le mieux adapté à l’hiver et au dégel. Partant, les objectifs dictés par la géographie n’ont pas changé depuis la Deuxième Guerre mondiale, et les carrefours ferroviaires sont d’emblée des points névralgiques qui sont autant d’objectifs majeurs dont il faut prendre le contrôle pour assurer les flux logistiques des forces. Un certain nombre de villes sont ainsi des nœuds ferroviaires dessinant nettement les axes offensifs.

La contre-offensive ukrainienne apparaît clairement à la fin de l’été lorsque Koupiansk tombe le 10 septembre. Située à une quarantaine de kilomètres de la frontière avec la Russie, à environ 320 kilomètres de Voronej, la ville est un hub avec des lignes de chemin de fer qui partent dans cinq directions différentes. L’artère logistique russe qui relie Voronej au saillant d’Izioum passe par Koupiansk dont la perte est catastrophique pour l’armée russe. En fait, ce sont trois nœuds ferroviaires qui sont ciblés dans ce secteur : Koupiansk, Izioum et Lyman. Les trois sont repris par les Ukrainiens mais c’est la perte du premier – le plus important – qui déstabilise véritablement le dispositif russe. C’est à la fin du mois de septembre – suite à ce revers majeur qu’il ne peut cacher – que Vladimir POUTINE annonce une mobilisation de 300 000 conscrits.

Les deux auteurs montrent que cette mobilisation, accompagnée de la suspension des fins de contrats pour les engagés volontaires, est dangereuse pour le pouvoir russe lui-même. Ayant jusqu’à présent plus ou moins bien tenu la société russe à l’écart de l’ « opération militaire spéciale », POUTINE prend désormais le risque de faire entrer la guerre dans les foyers russes et, avec elle, une critique politique. À cette date, MM. GOYA et LOPEZ remarquent que selon les chiffres – sous-estimés – du FSB, 261 000 Russes ont déjà fui la conscription en choisissant l’exil. Cette situation tendue met en exergue le phénomène Wagner dont la montée en puissance correspond, en fait, à une chute de la capacité offensive des forces russes. C’est à ce moment que la SMP de l’oligarque Evgueni PRIGOJINE – allant jusqu’à recruter dans les prisons – déploie entre 50 et 60 000 hommes et qu’elle se lance dans la bataille d’attrition de Bakhmout.

Déséquilibré dans le Donbass, le front russe est aussi mis à mal par une deuxième séquence de la contre-offensive ukrainienne dans le secteur de Kherson cette fois. La reconquête de la ville au mois de novembre, rejette les Russes sur la rive gauche du Dniepr. Incapables d’élargir une tête de pont grande comme un département français (5000 km2 environ), acculées au fleuve dont l’embouchure est large de 24 km, les forces russes sont dans une situation intenable. Leurs lignes de ravitaillement – celles qui traversent le Dniepr mais aussi la rocade qui longe la rive orientale – sont à portée de l’artillerie ennemie. L’arrivée d’une quinzaine de brigades ukrainiennes en renfort ne laissent pas d’autre choix qu’un repli en bon ordre avant l’hiver sous peine d’une destruction à court terme.

Un an d’enseignement

Le revers de Kherson est d’autant plus problématique que la Flotte russe est quasiment chassée des eaux occidentales de la Mer Noire. Nonobstant l’absence d’une véritable force navale, les Ukrainiens ont réussi à tenir à distance les bâtiments de guerre ennemis. En détruisant le navire-amiral de la Flotte de la Mer Noire le 14 avril 2022[10], les Ukrainiens remportent bien plus qu’une victoire tactique au demeurant sans conséquence sur le rapport de force. Non seulement ce sont deux missiles de croisière de fabrication ukrainienne[11] qui touche mortellement le Moskva, mais ce dernier est aussi le bâtiment de guerre le plus important à être coulé au combat depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La victoire est donc avant tout symbolique d’autant plus qu’elle est suivie de la destruction et de l’endommagement d’autres navires. À partir de juin, la livraison de missiles antinavires Exocet français et Harpoon américains finit de verrouiller le littoral ukrainien. Tirés de la terre, ces armes redoutables repoussent encore plus loin les bâtiments de guerre russes alors que, dans le même temps, CAESAR et HIMARS empêchent toute occupation de l’Île des Serpents. La Flotte de la Mer Noire est contrainte de se replier sur la base navale de Sébastopol où elle continue de subir en surface et dans les airs des attaques menées par des drones cette fois. La bulle de protection étant insuffisante, y compris au-dessus de Sébastopol, une partie de la Flotte est encore repliée vers la base de Novorossiisk. Le volet naval d’une guerre considérée comme essentiellement aéroterrestre demeure à ce stade un cas d’école en matière de déni d’accès.

Le déni d’accès est également aérien. Hormis les premières semaines de l’ « opération militaire spéciale », le ciel ukrainien est resté quasiment vide d’avions et d’hélicoptères du fait de l’efficacité des systèmes anti-aériens (notamment MANPADS) et de pertes importantes[12]. Un an après le début de l’invasion russe de 2022, l’armée russe ne maîtrise toujours pas le ciel, préalable indispensable selon les doctrines occidentales pour obtenir la décision au sol. La comparaison avec les campagnes aériennes américaines durant les guerres du Golfe est ici frappante. En Ukraine, ce sont l’artillerie et les drones (consommables et low cost) qui remplacent le soutien air-sol (Close Air Support) jusqu’à présent assuré par les avions et les hélicoptères.

S’appuyant sur plusieurs couches de détection – satellites, avions d’alerte avancée AWACS, drones HALE de type Global Hawk – le système anti-aérien ukrainien est actuellement en mesure d’intercepter les 2/3 des missiles russes. Si la Russie parvient à contourner l’embargo sur les composants électroniques indispensables à la construction de ces derniers, ses stocks de missiles semblent épuisés ou sur le point de l’être. L’utilisation de ces armes se ferait de plus en plus à flux tendus dès leur sortie d’usine. Quoi qu’il en soit les frappes missiles russes sont à ce stade de la guerre plus ponctuelles, et on voit l’engagement de systèmes plus anciens voire l’utilisation de systèmes à contre-emploi. Ces frappes sont surtout un échec car elles n’ont pas permis la neutralisation des réseaux ferroviaire et électrique ukrainiens.

Une guerre plutôt classique

Lorsque l’entretien entre Michel GOYA et Jean LOPEZ s’achève, sans préjuger de ce que sera la poursuite du conflit dans un sens comme dans l’autre, nous sommes en mars 2023. La grande contre-offensive ukrainienne du printemps est dans tous les esprits et les intuitions des deux auteurs quant à l’endroit où s’exercera le choc principal restent à confirmer. S’appuyant cependant sur des considérations géographiques et tactiques fondées à la fois sur leur (grande) culture historique et militaire, ils ne devraient pas se tromper sensiblement sur ce point, et c’est cela que l’on appréciera le plus dans L’ours et le renard.

MM. GOYA et LOPEZ ne parlent pas de leurs convictions qu’elles soient en faveur de Kiev ou de Moscou. Ils s’en tiennent aux faits qu’ils essayent d’établir avec prudence et objectivité à partir d’un appareil critique. Leurs échanges nous emmènent sur le terrain avec des cartes, et mettent à portée du profane des notes substantielles permettant de comprendre ce qu’est un AWACS, un missile antichar Javelin ou N-LAW, un système d’artillerie HIMARS ou CAESAR… Le raisonnement reste à l’échelle du théâtre d’opération et donne sens à une logorrhée médiatique souvent simpliste et désordonnée.

Conscients des limites de leur étude, ils se gardent bien de donner une conclusion qui de toute manière n’existe pas encore. Des pistes de réflexion et des observations sont avancées quant à une confrontation qui – avec la durée – ressemble de plus en plus à une guerre classique où l’on assiste au retour d’une certaine rusticité avec l’épuisement des stocks d’armements HIGH-TECH et leur utilisation à flux tendus. Même le volet cyber du conflit décevra ceux qui s’attendaient à un « Pearl Harbor numérique » côté ukrainien, non qu’il n’ait existé de cyberattaques (dans les deux sens) mais celles-ci n’ont en rien produit des effets décisifs.

Bref, un livre intelligent pour entrer dans un conflit qui se poursuit encore.


  • [1]– Cf. La figure universitaire du genre est SOULET (Jean-François), L’histoire immédiate. Historiographie, sources et méthodes, Armand Colin, 2012, 256 p.
  • [2]– Cf. GOYA (Michel) et LOPEZ (Jean), L’ours et le renard. Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, Paris, Perrin, 2023, 348 p.
  • [3]– Ibid. p. 9.
  • [4]– Cf. Michel GOYA s’est imposé comme spécialiste de la Première Guerre mondiale et d’une histoire militaire s’intéressant essentiellement à la tactique et à la condition militaire. Jean LOPEZ, lui, s’est imposé comme l’un des meilleurs spécialistes français de la Deuxième Guerre mondiale, plus particulièrement du conflit germano-soviétique.
  • [5]– Cf. GOYA (Michel), La chair et l’acier. L’armée française et l’invention de la guerre moderne (1914-1918), Éditions Tallandier, 2004, 479 p.
  • [6]– Cf. On notera parmi son abondante bibliographie LOPEZ (Jean), Le chaudron de Tcherkassy-Korsun et la bataille pour le Dniepr (septembre 1943-février 1944), Paris, Economica, 2011, 434 p.
  • [7]– Cf. Cf. GOYA (Michel) et LOPEZ (Jean), L’ours et le renard. Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, op. cit. pp. 21-66.
  • [8]– Cf. Les Battalions Tactical Group ou BTG.
  • [9]– Cf. Les brigades territoriales sont essentiellement constituées de conscrits dont la mission est de tenir localement un territoire. Les brigades de manœuvre sont des unités plus lourdes, plus mobiles et mieux armées. Elles constituent le fer de lance des forces ukrainiennes.
  • [10]– Cf. Le croiseur lance-missiles Moskva, classe Slava.
  • [11]– Cf. Le R-360 Neptune est un missile de croisière antinavire ukrainien dérivé du Kh-35 Kayak russe dont il améliore le système de guidage et la portée.
  • [12]– Cf. Au moment où l’OTAN multiplie les exercices aériens interalliés, notamment Air Defender 23 (en juin 2023), cette caractéristique du conflit interroge sur ce que serait l’emploi de l’arme aérienne dans un conflit de haute intensité à une époque où pilotes et avions sont des ressources plus que jamais coûteuses et complexes à former et à construire.

Résilience et esprit de défense

Par Comité de la Charente

La résilience fait partie de ces mots couramment utilisés dans l’actualité. Son usage est devenu commun au fur et à mesure de son élargissement sémantique.
Cela reste très certainement lié à la perception grandissante dans l’opinion publique des risques et des menaces qui pèsent sur la société, mais aussi des fragilités de cette dernière.
Est-ce pour autant que la notion de résilience est mieux saisie notamment lorsqu’elle est appliquée à la Nation ?
Comment interpréter un usage du terme qui, aujourd’hui, s’est tellement élargi qu’il fait parler d’abus voire de galvaudage ?
Comme si l’emploi du mot connaissait une inflation qui le viderait de sa substance plus qu’elle nous permettrait d’en comprendre le sens profond ?

Questionner la résilience de la Nation c’est questionner la Défense nationale dans son essence même car, de nos jours, les acteurs de cette Défense ne peuvent porter à eux seuls une crise ou une guerre.
La qualité de ces derniers ne peut suffire compte tenu de leur faiblesse en volume comme en moyens, et eu égard à l’ampleur de menaces devenues hybrides.
Plus que jamais l’adhésion de la société aux enjeux, sa capacité à subir les traumatismes sans être désemparée, sa capacité à garder une cohésion et une cohérence, sont nécessaires à la réalisation des missions de défense.
La résilience est, par conséquent, un « Esprit de défense » – conjugaison à la fois d’une capacité à subir sans céder et d’une volonté de se relever – qui doit irriguer l’ensemble de la société.

Cette approche ne peut donc être technique ni fonctionnelle, car elle nous oblige surtout à scruter ce qui dans les profondeurs de la société – et de la civilisation dont elle en est l’héritière – participe ou non à cette capacité.

De Associé à Auditeur IHEDN

Comment, à la retraite depuis quelques années, passer du statut d’associé au titre d’une association régionale des auditeurs de l’IHDN au statut d’AUDITEUR sans critère d’âge ?

Tout simplement en suivant une session du cycle « Intelligence économique et stratégique » de l’IHEDN – École militaire, Paris. 
Les formations IES de l’IHEDN bénéficient de l’intervention d’experts et d’institutions telles que le SGDSN et son nouveau service VIGINUM, la DGSE, la DGSI, la DRSD, TRACFIN, la Direction du renseignement douanier, le Ministère des affaires étrangères ou encore le PNF.
https://lnkd.in/eHGxvH9D

Alain Juillet – Jean-Marc Brault de Bournonville – Nicolas Moinet (référent intelligence économique à l’IHEDN)
Aucune description alternative pour cette image

Le SNU en 2023

Communication de Sarah El Haïry
Secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du SNU

—oo0oo—

Mesdames et Messieurs les secrétaires généraux des associations d’auditeurs de l’IHEDN,

Chers amis,

Madame Sarah El Haïry, secrétaire d’état chargée de la jeunesse et du SNU a souhaité vous adresser personnellement un courrier dans lequel elle reprécise ce qu’est le service national universel, son ambition et ses objectifs, car plus que jamais il est nécessaire d’encourager et développer la culture de l’engagement chez les jeunes.

Ce courrier a vocation à être largement diffusé auprès de vos membres, auditeurs et membres associés de vos associations, car tous n’ont pas forcément une idée claire de ce qu’est le service national universel, SNU dans lequel votre engagement pourra être davantage sollicité.

Sincères amitiés.

Jérôme de LabriffePrésident de l’Union-IHEDN

L’IHEDN, c’est QUOI ?

INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE

Une Histoire – Une Culture – Un Engagement

1936 : Sous l’impulsion de l’Amiral CASTEX, création du Collège des Hautes Etudes de Défense Nationale.
1948 : L’IHEDN ouvre une session de formation par recrutement élargi, à des personnes particulièrement qualifiées au point de vue économique et social.
1997 : L’IHEDN devient un établissement public administratif, placé sous l’autorité du Premier Ministre. 

Ses missions : 

  • Développer une culture de défense globale.
  • Participer au renforcement de la cohésion nationale.
  • Contribuer au développement d’une réflexion stratégique.

Ses actions majeures : 

  • Réalisation de travaux d’analyse et de réflexion sur l’évolution de la société.
  • Organisation de formations thématiques (nouveaux systèmes d’armes, intelligence économique, stratégie d’influence, lobbying, sécurité numérique etc..).
  • Formations d’auditeurs lors de sessions nationales et régionales qui ont vocation à s’engager au sein de l’Union-IHEDN, avec pour mission la diffusion de l’esprit de défense dans toutes les strates de la société.

La marque de fabrique de l’Union-IHEDN :

  • Un maillage territorial de près de 6000 auditeurs et membres associés, positionnés au plus près de centres de décision et rassemblés au sein d’associations régionales et de comités départementaux.
  • Des auditeurs et membres associés de haut niveau, issus de toutes les composantes de la société.
  • Le bénévolat.

Les sites internet à consulter :

Pour candidater à une session, prendre contact avec le président régional Poitou-Charentes Paul MORIN : paul.morin@orange.fr

Le Comité d’Éthique de la Défense (COMEDEF)

Article écrit le 21 décembre 2022 par Nghia NGUYEN 
– 180e promotion Cardinal de Richelieu
– Professeur au Lycée Jean Monnet (Cognac)

Une création récente

Le Comité d’Éthique de la Défense (COMEDEF) a été créé le 10 janvier 2020 par la Ministre Florence PARLY. Constitué de 18 membres représentatifs, entre autres, du monde des armées, de la recherche et du droit, il a à sa tête un grand commis de l’État, Bernard PÊCHEUR, secondé par l’ancien CEMA, le Général d’armée Henri BENTÉGEAT.

Les avancées scientifiques de la quatrième révolution industrielle, notamment dans le domaine des NBIC (1), posent de graves questions anthropologiques à l’ensemble de la société si ce n’est à la civilisation elle-même. Les armées n’échappent pas à ce questionnement à travers des faits déjà concrets à l’endroit du degré d’autonomie à accorder aux systèmes d’armes, à l’appréhension de nouveaux espaces de bataille mais aussi à l’intégration de capacité nouvelles dans l’organisme des combattants.

Le COMEDEF a, donc, pour mission de réfléchir sur ces questions profondes qui sont de nature à transformer radicalement les guerres qui arrivent. Développant une « réflexion éthique » qui doit accompagner de manière permanente les évolutions scientifiques, il inscrit son action dans une dimension prospective. Le COMEDEF émet donc des avis afin d’informer et de renseigner le MINARM. Il émet des propositions et des recommandations, et ses travaux peuvent être rendus publics. Au-delà, il permettra à notre pays d’élaborer une position internationale en cohérence avec ses valeurs politiques. Avec un logo représentant une boussole, le COMEDEF a pour vocation de donner un cap.

C’est donc pour présenter le comité, sa finalité et ses missions, que Bernard PÊCHEUR s’est rendu sur la BA 709 le mardi 29 novembre 2022. Accompagné par Rose-Marie ANTOINE et Christine BALAGUÉ (deux des dix-huit membres du comité), il fut accueilli par le Colonel Thierry KESSLER-RACHEL, commandant la base aérienne, et le Lieutenant-colonel Thibault RICCI, commandant l’École de l’Aviation de Chasse (EAC). Spécialiste en cyberdéfense, le Colonel KESSLER-RACHEL fut, également, rapporteur du COMEDEF avant sa prise de commandement de la BA 709. Désirant sensibiliser les élèves pilotes – et futurs officiers de l’AAE – aux questions éthiques, il a noué un partenariat avec le COMEDEF qui fait entrer cette réflexion dans le cursus de formation des futurs pilotes de combat.

C’est devant un parterre de personnels de l’EAC, en présence de la presse locale, que les trois membres du COMEDEF présentèrent leurs missions et les travaux jusqu’à présent réalisés : avis sur la défense spatiale, sur l’environnement numérique des combattants, sur l’éthique dans la formation des militaires, sur la notion d’intégration à introduire dans l’usage des SALA (2), sur le soldat augmenté… Avec en filigrane à tous ces thèmes la question omniprésente des avancées en matière d’intelligence artificielle.

De quoi parle-t-on ?

Si l’initiative est éminemment utile, pour ne pas dire d’une urgente nécessité, elle déçoit cependant dès sa présentation. Haut fonctionnaire et juriste de formation, rompu au service de l’État et aux discours institutionnels, M. PÊCHEUR s’est livré à un exercice oratoire particulièrement normatif où son assurance renouvelée dans le Droit, en la constitution et les lois tient lieu de cadre à toute réflexion éthique. « La démarche du COMEDEF s’appuie sur le droit commun qui s’applique à l’ensemble de la société » et « selon le principe de la dignité humaine » affirma t-il. Or, c’est oublier que le droit reste bien relatif et que les lois peuvent évoluer et changer. Surtout, c’est ne pas vouloir dire que la nature humaine c’est justement cela que la révolution du transhumanisme – qui procède directement des NBIC – propose de transformer.

Privilégiant une approche purement juridique des problèmes, le président du COMEDEF engage sa réflexion à partir d’une confusion – qu’il se garde bien de lever – entre les mots «  Éthique » et «  Morale ». Cette confusion, particulièrement conforme à l’air du temps politique et médiatique, est pourtant préjudiciable à l’essentiel. Elle dit surtout ce que l’on désire occulter.
Alors que la Morale se donnera les moyens (valeurs, principes) de distinguer fondamentalement le Bien du Mal, le juste de l’injuste, l’Éthique, elle, se posera comme une réflexion ne s’intéressant pas directement aux objets de la Morale mais à la manière de les (re)définir dans le relativisme voulu par l’époque. C’est donc avant tout à la Morale de précéder et d’éclairer les lois et non aux lois de dire, in fine, ce que devrait être une morale confondue avec l’éthique. Les deux termes ne sont pas synonymes quand bien même les contemporains ont-ils fini par confondre, eux aussi, la fin et le moyen.

L’Éthique dont parle M. PÊCHEUR n’est, au fond, qu’une judiciarisation des évolutions scientifiques et technologiques appliquée aux affaires militaires, dont on se demande s’il y a une place réelle pour une vraie réflexion morale au-delà d’un discours convenu et rhétorique sur la démocratie et l’importance des lois pour garantir la dignité des militaires et de la société.
La place faite au sein du COMEDEF à ceux qui auraient le plus à apporter en matière de Morale et d’Éthique – philosophes, intellectuels, théologiens – dit, à elle seule, l’orientation dans laquelle les promoteurs du comité ont voulu qu’il s’inscrive.

Certes, on trouvera un philosophe en la personne de Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER. Cependant, et sans remettre en cause l’excellence de ses travaux, ce dernier ne représente pas ce que le monde philosophique actuel produit de mieux sur les questions de l’Éthique et du transhumanisme. Recherchant avant tout « des propositions impactantes », le COMEDEF perçoit en fait le débat de fond comme un facteur de paralysie et sacrifie la finalité même de l’Éthique.

Le COMEDEF, un trompe-l’œil ?

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » La célèbre citation de BOSSUET n’a malheureusement pas pris une ride en ce début de XXIe siècle. Chaque fois que l’on fuit le sens d’un phénomène, on se condamne à un déni qui se rappellera, tôt ou tard, quand bien même se trouverait-on dans les cimes de l’État. Souvent dramatique pour les individus, ce rappel aux réalités humaines pourrait être catastrophique pour la société.

Les questions ne furent pas nombreuses mais quelques-unes furent néanmoins posées quant à la marge de manœuvre du COMEDEF et, au-delà, de la France pour limiter ou s’opposer aux évolutions imposées par les progrès des NBIC. Sachant que ce sont les États-Unis et la Chine qui, aujourd’hui, donnent le tempo en matière de recherche, d’innovations et de pratiques. La France n’a fait que suivre plus ou moins vite, mais elle a toujours fini par suivre comme en témoigne, par exemple, la possibilité désormais donnée aux drones d’exercer des frappes (3). L’alignement stratégique sur les États-Unis ainsi que la mise aux normes OTAN de nos forces armées à tous les niveaux montrent aussi qu’à terme il nous sera impossible de faire différemment en matière de principes lorsque le champ de bataille sera essentiellement robotisé et digitalisé (4). Quant à la distinction entre SALA et SALIA, si elle tient encore aujourd’hui, elle est d’ores et déjà indexée sur la marche de l’intelligence artificielle dont on ne voit pas en quoi la vitesse d’analyse, la capacité à interpréter et à concevoir (5), les possibilités qu’elle donne d’emblée en matière de guerre cognitive ainsi que la volonté, in fine, d’accéder un jour à une IA forte, n’élimineront pas à terme la partie humaine du contrôle de la décision.

Le plus grave demeure cependant la capacité d’aveuglement dont pourraient faire preuve certains membres du COMEDEF sur les sujets même de leurs réflexions. Ainsi, à une autre question posée sur la révolution du transhumanisme, Christine BALAGUÉ, professeur spécialiste des questions numériques, mit en avant les fantasmes portés par le transhumanisme qui en feraient davantage un mythe qu’une réalité ; allant jusqu’à affirmer que « des humains contrôlés par la technologie, ça n’existe pas » (sic). Ironie du sort : au lendemain même de cette affirmation, Elon MUSK annonçait que sa firme Neuralink sera en mesure d’implanter un premier appareil connecté dans un cerveau humain dans les six prochains mois (6).

_______________

  1. Cf. Acronyme pour Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Cognitivisme. Les NBIC sont les domaines dans lesquels s’opèrent, de nos jours, les ruptures majeures contemporaines permettant l’entrée de l’Humanité dans l’ère de l’augmentation et du transhumanisme.
  2. Cf. DANET (Didier), « Pourquoi la France a renoncé aux SALA », DSI, 157, janvier/février 2022. L’article reprend la réflexion du COMEDEF qui propose les SALIA (Système d’Arme Létal Intégrant de l’Autonomie) à la place des SALA (Système d’Arme Létal Autonome).
  3. Cf. Le propos n’est pas une opinion sur le bien-fondé ou non d’armer les drones, mais il est de rappeler les longs débats qui ont précédé cette décision d’employer les drones pour des frappes comme le faisaient déjà Américains et Britanniques depuis des années. Débats dans lesquels il n’était pas rare d’entendre politiques et militaires dire qu’ « on ne fait pas la même guerre que les Américains », que l’ « on n’a pas la même culture qu’eux », qu’ « on s’impose toujours des limites »…
  4. Cf. JDEF, “Robots : des nouveaux soldats ?”, 19 décembre 2022. Cette émission du Journal de la Défense présente le COMEDEF.
  5. Cf. Les capacités de l’agent conversationnel ChatGPT de la firme OpenAI présenté pour la première fois en novembre 2022.
  6. Cf. Annonce faite par Elon MUSK le 30 novembre 2022. Cet implant sera une interface permettant à un individu de communiquer par la pensée avec un réseau connecté. L’objectif sera dans un premier temps de pouvoir rendre la vue ou de permettre à un tétraplégique de se mouvoir. Ce bond technologique (breakthrough device) relève de l’INTERNET des corps ou IoB (INTERNET of Bodies) c’est-à-dire de l’intégration dans le corps humain d’objets connectés. Il existe trois générations d’IoB : celle des objets externes connectés au corps (INTERNET of Things ou IoT), celle des implants (capteurs de contrôle médicaux) et celle de la fusion en temps réel homme/machine avec un réseau extérieur. L’annonce du 30 novembre 2022 renvoie à cette dernière génération dite des « corps embarqués ». Elle illustre le problème que porte le transhumanisme dans son essence même. Partant d’une problématique réparatrice – qui peut être légitime car médicale -, il ouvre sur une problématique d’augmentation propre à changer la nature même de notre humanité. Le délai de six mois annoncé par M. MUSK est celui que demande l’approbation administrative de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence de santé publique étatsunienne. Mise à jour du 29 mai 2023 – Neuralink a annoncé, le jeudi 25 mai, disposer désormais de l’autorisation administrative pour pouvoir tester ses implants cérébraux.

Réserve Communale de Sécurité Civile

Par Maxence JOUANNETAuditeur du Comité Aunis-Saintonge
– Colonel de Sapeurs-Pompiers en retraite
– Ancien directeur départemental du SDIS 87 – Limoges

Mémoire et Jeunesse

La commission Mémoire et Jeunesse de la FNAM

La commission mémoire, une des huit commissions de la Fédération nationale André-Maginot (FNAM), est placée sous l’autorité d’Henri Schwindt, président délégué de la FNAM, et repose sur deux pôles : Mémoire et Jeunesse.

La commission Mémoire représente le deuxième poste de fonctionnement de la Fédération. Elle a pour vocation principale la préservation et la transmission de la mémoire. 

Sa nouvelle ambition : se tourner vers l’avenir en impliquant la jeunesse du pays. Elle l’amène à élaborer des partenariats pour faire vivre les valeurs de la République tout en relayant les messages de paix, d’engagement et de fraternité des « anciens » combattants vers les plus jeunes.

La Fédération nationale André-Maginot s’engage sur plusieurs chantiers dans sa mission de transmission de la mémoire en s’amarrant à plusieurs dispositifs dont le succès n’est plus à démontrer :

– Les Rallyes citoyens. 
– Les Classes de Défense et de Sécurité Globales (CDSG).
– Les Cadets de la Défense.

En pièce jointe, une copie du dossier Mémoire et Jeunesse  
[La Charte N° 1 – Janvier – Février – Mars 2022]
CHARTE-1-2022_Mémoire et Jeunesse_Web.pdf

L’original est aussi téléchargeable sur le site de la FNAM : 
© https://www.federation-maginot.com/pour-relire-les-numeros-de-la-charte-2022-cliquez-sur-celle-que-vous-voulez-consulter/