SOUMISSION OU SOUVERAINETÉ

La Constitution du 4 octobre 1958 stipule: « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale ».

La souveraineté d’un État repose sur trois piliers : la capacité à exercer son autorité de manière indépendante sur son territoire, la liberté à s’organiser comme il l’entend et l’indépendance vis-à-vis des autres états.

Ce dernier pilier est aujourd’hui fortement fragilisé dans le domaine numérique, rouage essentiel du fonctionnement de l’État et de la société depuis la fin du XXe siècle.

 La souveraineté numérique : un enjeu vital

Elle recouvre plusieurs dimensions:

  • hébergement des données,
  • systèmes d’exploitation,
  • applications logicielles,
  • cybersécurité,
  • protection des données personnelles, industrielles et commerciales.

80 % des données françaises qui, pour beaucoup, constituent « l’or noir » de l’économie contemporaine, sont stockées aux USA ou dans des serveurs américains, ce qui revient à confier les clés de notre pays à un tiers.  

Quelques exemples significatifs :

  • Les données de santé des Français sont depuis 2019 hébergées par MICROSOFT dans le cadre du marché « Health Data Hub» (Plateforme de données de santé). Lors de son audition en 2024 par une commission sénatoriale, le directeur de MICROSOFT FRANCE n’a pas pu garantir que ces données ne pouvaient pas être transmises sans accord de la France ;
  • L’application FRANCE IDENTITÉ est téléchargeable sur GOOGLE PLAY et l’App Store ;
  • DOCTOLIB, site internet utilisé quotidiennement par des millions de français pour prendre un rendez-vous médical,  héberge ses données chez AMAZON ;
  • RENAULT, entreprise dont l’État est actionnaire, s’appuie sur GOOGLE pour ses données industrielles, ses véhicules équipés de GPS étant ainsi traçables ;
  • BPI FRANCE, banque publique d’investissement, organisme de financement et de développement des entreprises, fait enregistrer les demandes de crédit des entreprises françaises au sein d’une solution AMAZON ;
  • La région ÎLE-DE-FRANCE vient de confier la gestion de ses services informatiques à une société américaine ;
  • CIRIL GROUP, fournisseur de solutions cloud et de logiciels pour plus de 2 500 collectivités locales françaises, est racheté en 2025 par un fonds américain. Son positionnement au cœur de la commande publique en fait un acteur particulièrement sensible.
  • 85% des entreprises du CAC 40 hébergent leurs données chez MICROSOFT…

Les GAFAM captent chaque année des milliards d’euros de valeur ajoutée française, tout en exposant nos données aux lois américaines – une double ponction, économique et stratégique.

Conséquences stratégiques et sécuritaires

Les données sont généralement ensuite revendues. Elles peuvent aussi être communiquées, à leur demande, aux autorités américaines en application du « Cloud Act ».

C’est ainsi que le FBI a connaissance du profil génétique d’un million et demi de français qui ont envoyé leur ADN à des sociétés américaines de généalogie.

La société américaine PALANTIR (financée à l’origine par la CIA) fournit des outils d’analyse de données à la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, exposant potentiellement les recherches de cette dernière aux services américains.

Cette domination pose un grave problème de souveraineté nationale et de sécurité.

S’agissant des ordinateurs, le système d’exploitation « Windows » de MICROSOFT et les applications « MS Office » écrasent toute concurrence en équipant 80 à 90 % des ordinateurs des particuliers, des entreprises et des administrations. Cette proportion monte à 100 % dans 2 ministères régaliens : les Armées et la Justice… La plupart des élèves de l’Éducation Nationale, de la formation professionnelle, des étudiants de l’enseignement supérieur sont formés sur « MS Office ». L’École Polytechnique a failli en adopter la dernière version…

Ceci n’est pas sans poser problème s’agissant de la sécurité. Les logiciels de MICROSOFT transmettent périodiquement des données sans consentement explicite des utilisateurs. Ils sont également les cibles privilégiées des cyberattaques, en raison de leur position dominante.

De même, les systèmes Android (GOOGLE) et iOS (APPLE) dominent la téléphonie mobile ; ils sont considérés comme de véritables « aspirateurs à données » :

  • Quand la BANQUE POSTALE demande à ses clients de télécharger sur « GOOGLE Play » l’application « Certicode + », elle fournit gratuitement à GOOGLE le nom et l’adresse IP du client concerné, ce qui complétera son profil commercial. En enregistrant les téléchargements, GOOGLE obtient aussi la liste nominative de tous les clients de la banque, laquelle devrait pourtant protéger à tout prix cette donnée stratégique majeure ;
  • L’association TEGO (ex- AGPM et GMPA) recommande aussi le téléchargement de son application mobile sur « GOOGLE Play ». GOOGLE pourra ainsi facilement rapprocher la qualité d’adhérent de TEGO, qui découle du téléchargement, avec sa géo-localisation. De là à en déduire à quelle unité militaire située à proximité appartient l’adhérent, il n’y a qu’un pas …
  • Le gouvernement est présent sur les réseaux sociaux (X, Facebook, Instagram, Youtube, WhatsApp). Sa communication, notamment envers les jeunes, est donc dépendante du bon vouloir des GAFAM, d’autant qu’elle est totalement absente des réseaux « libres » comme Mastodon.

Une dépendance organisée

Soumises aux lois américaines s’appliquant hors des USA, les « GAFAM » ont l’obligation légale de répondre aux demandes des services de renseignement américains, même si les données qu’elles gèrent sont situées à l’étranger. Il existe une grande porosité entre elles et ces services :

  • MICROSOFT a été la première entreprise à participer au programme de surveillance PRISM de la NSA ; elle a aidé celle-ci à avoir accès aux messageries « Outlook » et « Hotmail » ;
  • AMAZON a nommé en 2020 à son conseil d’administration l’ancien chef de la NSA, le général K.B ALEXANDER, qui a supervisé la surveillance de masse dénoncée par Edgar SNOWDEN ;
  • Le général P.M NAKASONE, également ancien directeur de la NSA, a rejoint en 2024 le comité directeur d’OPEN AI, société majeure de l’intelligence artificielle.
  • Peter THIEL, patron et cofondateur de PAYPAL et surtout de PALANTIR (Cf. supra), est un conseiller officieux du président TRUMP.
  • MICROSOFT, qui gère des services informatiques externalisés de la Cour Pénale Internationale, a coupé le courrier électronique du procureur, KARIM KHAN, suite à des mesures de rétorsion décidées par M. TRUMP.

Cette proximité et la mainmise totale des GAFAM sur l’Internet mondial ont permis, grâce aux informations obtenues, à GENERAL ELECTRIC de prendre le contrôle d’ALSTHOM, à FMC de mettre la main sur TECHNIP. Elles ont obligé TOTAL, SHLUMBERGER, ALCATEL, BNP, SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, CRÉDIT AGRICOLE à payer des amendes colossales.

C’est ce dont prend acte implicitement la Cour de Justice de l’Union Européenne par l’arrêt « SCHREMMS 2» (2020), du nom de l’avocat qui a contesté le transfert des données opéré par FACEBOOK IRLANDE vers sa maison-mère aux USA. Ce jugement historique constate que les données à caractère personnel ne bénéficient pas aux USA d’une protection équivalente à celle délivrée en Europe, ce qui rend illicite leur transfert, sans encadrement spécifique, vers une société soumise au droit américain.

Le coup de tonnerre provoqué par l’arrêt « SCHREMMS 2 » aurait dû contraindre le gouvernement français à abandonner son acceptation tacite de la domination US. Il s’est malheureusement contenté de prendre acte de la décision de la Commission européenne du 10 juillet 2023 qui se satisfait hypocritement de la création aux États-Unis d’une Cour de contrôle de la protection des données (« Data Protection Review Court »), censée assurer, malgré le manque de transparence de a procédure, un niveau de protection équivalent à celui de l’Union européenne.

Toutefois, cette protection a été vidée récemment de son sens par le président TRUMP, qui a limogé quatre des cinq membres de cette Cour. Le transfert de données personnelles vers des sociétés  américaines demeure donc plus que jamais risqué.

Les alternatives existent

Une idée largement diffusée est qu’hors des GAFAM, il n’y aurait point de salut. Pourtant le potentiel européen est immense:

  • Malgré l’évolution exponentielle des besoins en stockage de données numériques, l’Union Européenne prévoit de tripler la capacité des centres de données sur le continent d’ici 2035, avec des investissements massifs dans des infrastructures durables et sécurisées:
  • Que ce soit pour les particuliers, les entreprises ou les administrations, le système d’exploitation « Windows » peut être avantageusement remplacé par son équivalent libre « Linux », dont la fiabilité et la robustesse sont mondialement reconnues, y compris par la NASA et l’US NAVY, qui en a équipé ses sous-marins nucléaires. L’Assemblée Nationale, la Gendarmerie Nationale l’utilisent depuis plus de 15 ans.   
  • S’agissant de la bureautique, les logiciels libres représentent une alternative performante et très économique aux produits MICROSOFT. La suite libre la plus populaire est « LibreOffice ». Elle comprend les mêmes modules que « MS Office » et est aussi performante. Elle en utilise sans difficulté les fichiers, tant en import qu’en export.  Des états comme le DANEMARK, des régions comme le Land de SCHLESWIG-HOLSTEIN, ou des villes comme LYON, ont d’ores et déjà choisi d’éliminer progressivement les solutions de MICROSOFT au sein de leur administration. L’université de STRASBOURG a déployé LibreOffice sur 12 000 postes, soient des économies estimées à 2,3 M€ sur 5 ans. A contrario, la Police Nationale doit, avec la migration de Windows 10 à Windows 11, remplacer un quart de son parc informatique, soit une dépense de 15 millions d’euros, coût des licences non compris…

De manière générale, la plupart des produits propriétaires, quelle que soit leur nature ou leur destination, ont une alternative libre. Les logiciels libres sont plus sûrs :

  • D’une part, leur code source est ouvert, c’est-à-dire libre d’accès, contrairement à celui des logiciels propriétaires. Cette situation permet donc à la communauté de repérer et réparer plus rapidement les failles logicielles, les erreurs et négligences de programmation.
  • D’autre part, n’étant pas soumis à une logique commerciale, les données techniques qu’ils récoltent sont strictement limitées à ce domaine et ne sont pas revendues.

Un choix politique et citoyen

L’Europe et la France peuvent donc restaurer leur souveraineté numérique et se détacher de la vassalisation actuelle envers nos « alliés » américains. Cet objectif n’est pas hors de portée.

Il faudrait pour cela une volonté politique ferme et durable. Bien que le Président de la République ne cesse de rappeler le caractère stratégique de la souveraineté technologique européenne, les discours et les actes du gouvernement sont contradictoires.

Certes, le gouvernement a choisi en 2018, de protéger les données françaises avec la doctrine « cloud au centre[1] » et le label « SecNumCloud ».

Mais:

  • Après avoir ouvert une brèche majeure dans la doctrine précitée avec l’affaire « Health Data Hub » (Cf. supra), il se dirige maintenant vers la labellisation d’offres d’hébergement hybrides comme  « Bleu » (Microsoft-Orange-Capgemini) ou « S3NS » (Google-Thalès).
  • En 2025, le Secrétariat Général du Gouvernement a choisi une entreprise étrangère contrôlée par des capitaux américains, au détriment d’une société française, pour renouveler le logiciel de surveillance des réseaux sociaux de l’ensemble des ministères français – y compris régaliens.
  • Le MINISTÈRE DES ARMÉES, malgré les déclarations répétées de son ministre sur l’importance cruciale de la souveraineté technologique, continue de préférer les applications MICROSOFT dans le cadre d’un accord  « open bar» passé sans appel d’offres en 2009, contre l’avis des experts militaires.
  • L’ÉDUCATION NATIONALE dépense en 2025 152 M€ en licences MICROSOFT. Cette décision très critiquable oriente des millions de jeunes vers ces produits à la fois payants et non souverains. Est-ce là la mission de ce ministère ?
  • La plupart des décisions prises ces dernières années dans le domaine du numérique renforcent les dépendances existantes. Si l’idée de souveraineté figure bien dans les discours officiels, elle est oubliée régulièrement dans les appels d’offres.

Il est donc mensonger de parler de souveraineté numérique. La Constitution de la République n’est clairement pas respectée. Seule une volonté politique lucide, forte et courageuse pourrait dégager la France des tentacules « étatsuniennes » en mettant en œuvre des solutions alternatives :

  • relocalisation des données en Europe;
  • interdire l’hébergement des données publiques chez les GAFAM ;
  • rendre obligatoire l’insertion d’une clause de non-soumission aux lois extraterritoriales étrangères dans tous les marchés publics comportant des prestations d’hébergement et de traitement de données publiques en cloud ;
  • application stricte de la doctrine « Cloud au centre » et refus de la labellisation « SecNumCloud » pour les sociétés qui ne sont pas soumises à un droit européen ;
  • abandon de la préférence générale donnée à MICROSOFT dans les services publics, aux Armées, et d’abord dans l’Éducation Nationale, afin de ne pas favoriser l’addiction des jeunes aux GAFAM;
  • respect des textes en vigueur qui incitent à choisir au maximum les logiciels libres.

Mais la souveraineté nationale, et donc la protection des données personnelles, sont aussi de la responsabilité de chaque Français.

Accepterions-nous que la POSTE ouvre nos lettres à notre insu et en exploite les données? C’est pourtant ce que font systématiquement, avec l’accord tacite de leurs clients, « GOOGLE » avec sa messagerie « GMail », MICROSOFT avec ses messageries « Outlook », et « Hotmail ».

En acceptant les produits des GAFAM, et aujourd’hui les logiciels d’IA, on n’importe pas seulement des outils, mais aussi un cadre mental complet : pas “Made in USA”, mais “Thinks like USA.”. Ce n’est pas seulement un service pratique, c’est en réalité une prise de contrôle douce.

La vraie question n’est plus seulement “Mes données sont-elles en sécurité ?”, mais « qui en contrôle l’accès, qui les interprète ».

La souveraineté numérique est LA condition de la liberté démocratique à l’ère du Cloud. 

Abandonnant le confort illusoire procuré par les applications dominantes, essentiellement américaines, chacun doit faire l’effort, quel que soit son niveau, de changer ses habitudes afin de protéger ses données personnelles qui constituent, en quelque sorte, son intimité, mais aussi les données transmises par ses interlocuteurs.

Chaque Français peut ainsi privilégier des alternatives comme LibreOffice ou OnlyOffice, ProtonMail ou Tutanota, Signal ou Olvid.

Chaque citoyen, chaque institution, chaque association, chaque entreprise participera ainsi, concrètement et activement, à la défense de la souveraineté de notre pays.

« Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. Voilà ce qui arrive aux plus braves chevaux qui d’abord mordent leur frein, et après s’en jouent, qui, regimbant naguère sous la selle, se présentent maintenant d’eux-mêmes sous le harnais et, tout fiers, se rengorgent sous l’armure. »  [la Boétie]

Jacques TABARY – Auditeur IHEDN


[1]Les données sensibles (ex. : secret médical, sécurité nationale) doivent être hébergées sur des solutions cloud qualifiées « SecNumCloud », délivrées par l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information), pour garantir leur protection et conformité.

En casoar et gants blancs

Il y a 111ans. En casoar et gants blancs

         Dans la touffeur de ce début juillet en Gâtine profonde de Parthenay, fouillant dans notre vieille maison de famille un amoncellement de cartons remplis de livres, souvent antédiluviens, je suis tombé en arrêt sur un exemplaire, un peu défraîchi, de « En casoar et gants blancs » de Paluel-Marmont. 

Je reconnais cet ouvrage. Il m’a été donné par ma mère lorsque j’avais environ dix ans. Ma maman, fille, sœur, épouse, belle-sœur, et future mère et grand-mère de Saint-Cyrien savait ce qu’elle faisait. Membre de la glorieuse promotion Serment de quatorze, (1963-65) je relis avec soin et plaisir cette œuvre.

De retour à La Rochelle avec ma proie, en rangeant cette fois ma volumineuse paperasserie, je tombe sur le programme de notre gala parisien et le fascicule de notre baptême. Tous les deux reprennent, quasiment in-extenso le premier chapitre de ce livre « Le baptême au crépuscule ».

Je ne vous fais pas l’injure de vous retracer cet évènement et le serment de « monter à l’assaut en casoar et gants blancs » qui le suivit, ce 31 juillet août. 

Il est certain que relativement peu de Cyrards de la « Montmirail » et encore moins de la « Croix du drapeau » y participèrent, emportés pat l’enthousiasme d’Allard-Méeus, le « barde de la  Montmirail » et de Fayolle.  

D’ailleurs, en dehors de Paluel-Marmont, je n’ai trouvé que peu de traces de ce serment. Curieusement, le général Desmazes, vorace à la « Croix du drapeau », n’en fait pas état dans son histoire de Saint-Cyr éditée en 1948 (cadeau que me fit la promo de mon père, la Maroc et Syrie). 

Le général Carpentier, élève de la « Croix du Drapeau » y fait allusion dans ses mémoires sans dire s’il l’a prêté. 

Pour commentaires, tout ce que j’ai réussi à retrouver c’est un fielleux propos récent sur Internet qualifiant de « bravache » ce serment exalté. Fermez le ban… 

N’oublions pas qu’à cette époque, nous sommes dans la France du « Panache ». Cyrano et Chantecler sont des références populaires.

Je ne philosopherai pas sur ce serment qui a réellement existé. 

Il marque l’engagement, le sacrifice volontaire, le don de soi pour une cause supérieure, de jeunes gens enthousiastes, pénétrés de l’amour de la patrie. Ma réflexion est autre. 

Quelle a pu être l’éducation militaire de ces jeunes hommes qui a amené à une telle hécatombe dans les premiers mois de la guerre ?

Et j’en viens à la doctrine officielle de l’armée française en août 14, « l’offensive à outrance ». Ce n’est pas la doctrine de Joffre, le généralissime, organisateur plus que stratège. Il applique les idées d’autres idéologues. C’est plutôt celle des « Jeunes turcs » qui l’entourent dans son état-major, Gamelin en tête. C’est surtout la doctrine déclinée par Foch à la tête de l’Ecole de Guerre, dans les années précédentes. 

Cette idéologie fut conçue pour le niveau stratégique national, en réaction à la doctrine des « bonnes positions » qui nous amena inéluctablement à la défaite à Sedan, en septembre 1870, et en mépris de la ligne de fortifications Séré de Rivière, construite en réaction à la défaite dans les années 1880. 

Cette doctrine fut dénaturée en descendant l’échelle hiérarchique. 

Appliquée à la compagnie, elle fut à l’origine des journées sanglantes d’août 14 dont le sommet est le 22 août qui vit la mort de quarante-mille combattants, soit vingt-sept mille Français et treize-mille Allemands. 

La mitrailleuse allemande bien postée l’emporta toujours sur la baïonnette française, à bout de souffle  après des centaines de mètres de course sous la capote bleue et le pantalon rouge, couleurs des Gardes Françaises en 1789 ! 

L’auteur de cette théorie est connu. Il s’agit du chef de bataillon de Grandmaison qui écrivit en 1908 « Dressage de l’infanterie en vue du combat », puis prononça comme colonel  aux officiers du CHEM en 1911 deux conférences sur le même thème. Il mourût au combat à Soissons en 1915.

Comme Ardant du Picq une cinquantaine d’années plus tôt, voire comme le général Russe Souvorov à la fin du XVIIIème, il met en avant les forces morales. Jusqu’ici, rien de neuf.

Mais dans le feu de l’action, il dénie tout pouvoir préalable  au tir et fait confiance à l’exaltation morale du soldat. Ainsi écrit-il dans son premier ouvrage que « Le seul mode d’action de l’infanterie est le mouvement en avant par le feu ».

Donc, le feu n’est qu’un moyen pour permettre le mouvement en avant, principe absolu du combat. « Vaincre, c’est avancer » écrit-il encore. 

Et l’on avance parce que le soldat a le moral ! 

Il écrit aussi « Le feu du défenseur ne détruit pas l’assaillant, mais il le démoralise d’une façon assez profonde pour supprimer chez lui toute capacité d’effort ». Les combattants de la Marne apprécieront. 

C’est simplissime. Cela facilite l’instruction des unités.  

Grandmaison ignore totalement la formule de Pétain, son grand ancien, « Le feu tue ». Il n’a pas entendu Lanrezac s’exclamer « Attaquons, attaquons… comme la lune ». Il ignore totalement l’existence, donc l’emploi, de la mitrailleuse, pourtant née une quarantaine d’années plus tôt. Il ne connaît que Souvorof, relayé par le général Dragomirof, à la fin du XIXème « La balle manque son but, la baïonnette ne manque pas le sien ; la balle est une folle, la baïonnette est une luronne ». 

Et pour les cadres de contact, c’est tellement plus facile d’apprendre à une compagnie, une section, une escouade à courir éperdument baïonnette en avant que de la former à la combinaison  des feux et du mouvement, définition de la manœuvre.

En plus, l’auteur écrivît en conclusion « Il s’ensuit que l’officier français au combat doit être plus un donneur d’exemple qu’un donneur d’ordres ».

La mort héroïque d’Allard-Méeus, celle de Fayolle, premiers récits de l’ouvrage après celui du baptême, illustrent parfaitement, hélas, ces propos irraisonnés.

Général Philippe MOUNIER [Fantassin].

Colloque Cyber Rochefort

Intelligence artificielle : Un nouveau monde pour les professionnels de demain.

Le comité Charente-Maritime de l’Association régionale Poitou-Charentes des auditeurs de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale), en partenariat avec la Ville de Rochefort organise un colloque lundi 31 mars 2025, au Palais des Congrès.

Accueil dès 13 h 30 et début du colloque à 14 h 00.

Événement gratuit mais soumis à inscription.
Adresse du Palais des Congrès : 73 rue Toufaire – ROCHEFORT (17300)
Point de contact pour votre inscription : colloque@ihednpoitoucharentes.fr
Manifestation organisée dans le cadre des activités du trinôme académique du rectorat de Poitiers.

Les conférences du général Jean-Claude RODRIGUEZ

Europe de la Défense et PSDC

Par Jean-Claude Rodriguez
Général de division aérienne (2S)
Officier mécanicien de l’air et Ingénieur en génie nucléaire.
Ancien inspecteur technique de l’armée de l’Air.
Auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN)

Conclusion :
Faible réactivité militaire de  l’Union Européenne
Capacités militaires limitées 
Processus de générations de forces largement expérimenté 
La question de l’autonomie stratégique de l’UE par rapport aux États-Unis est posée

Les conférences du général Philippe MOUNIER

Par Philippe Mounier
Général de brigade (2S) 
Officier d’infanterie et Logisticien. 
Ancien commandant de la Base de transit interarmées.
Auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN)

La notion de Guerre Juste

La notion de guerre « juste » est-elle un oxymore, un paradoxe ou un dilemme? Cette question se pose depuis la nuit des temps. La guerre est une des plus vieilles activités humaines, intrinsèquement liée à la nature de l’Homme.
Elle semble inextinguible. Mais, nous pouvons répondre à cette interrogation en affirmant que la guerre « juste » doit rester un idéal. Celui-ci est certes difficile à atteindre. Mais cet idéal doit rester quand même un objectif, pour éviter de voir définitivement sombrer le monde dans la barbarie et l’inhumanité. Pour cela, après avoir essayé de définir ce qu’est une guerre « juste », nous verrons comment a évolué cette idée au fil des siècles, sous l’influence des religions, des penseurs et des politiques. Le tableau de la situation actuelle et sa projection dans le futur clôtureront cette brève analyse. Cette conférence n’est en aucun cas une pure conférence d’histoire militaire. Elle traite de l’essentielle question des relations humaines.
Général (2S) Philippe MOUNIER

Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de La Rochelle
Conférence du Général Philippe Mounier
La notion de Guerre Juste
Mercredi 20 novembre 2024 à 17 h 00
Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle 28 rue Albert 1er – La Rochelle (17000)

Cedant Arma Togae

– Montpellier le 10 novembre 2022. Montage de Guy RAGEOT, le Ouèbemaître [Saint-Cyr – Serment de 1914 1965]
– Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de La Rochelle
Conférence du Général Philippe Mounier
Cedant Arma Togae
Mercredi 15 mars 2023 à 17 h 00
Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle 28 rue Albert 1er – La Rochelle (17000)

Traités Sèvres 1920 – Lausanne 1923

Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de La Rochelle
Conférence du Général Philippe Mounier
Les Traités de Sèvres 1920 et de Lausanne 1923
Mercredi 16 février 2022 à 17 h 00
Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle 28 rue Albert 1er – La Rochelle (17000)

Conférence-débat à Ruelle-sur-Touvre

ASSOCIATION NATIONALE DES OFFICIERS DE CARRIÈRE EN RETRAITE
des veuves, veufs et orphelins d’officiers
Reconnue d’utilité publique
Groupement Charente

Le président du Groupement Charente Patrick FISZPAN et tous les membres ont le plaisir et l’honneur de vous convier à assister à la conférence-débat qui sera donnée par le Général François CHAUVANCY, Rédacteur en chef de la revue Défense de l’Union-IHEDN, sur le thème :

« Situation géopolitique et militaire dans le monde : une période particulièrement instable…
Comment la France et l’Europe peuvent y faire face ? »

Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des
troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l’Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-
insurrection et les opérations sur l’information. Il est également Président de l’ANOCR.
https://www.conferences-inspiration.com/conferenciers/francois-chauvancy/

La conférence aura lieu le mercredi 19 mars 2025
dans le salon du théâtre Jean Ferrat de
Ruelle-sur-Touvre, place du Champ de Mars de 18 h à 20 h 00.
Entrée libre…
Merci de confirmer votre présence sur le mail ci-dessous avant le 16 mars 2025 :

president.anocr16@gmail.com

Colloque Cyber Angoulême

Comité Charentais – Colloque Cyber Criminalité Angoulême

Le comité Charente de l’Association régionale Poitou-Charentes des auditeurs de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale), en partenariat avec la Ville d’Angoulême organise un colloque jeudi 13 février 2025, à l’Espace Franquin, salle Buñuel.

Accueil dès 13 h 30 et début du colloque à 14 h 00.

Des stands permettront aux participants d’échanger directement avec les intervenants à l’issue du colloque.

Les entreprises, les collectivités, les citoyens et les jeunes sont conviés à cette journée qui abordera la thématique :

  • Impact de la cybersécurité sur nos sociétés
  • Continuité d’activité en période de crise
  • Le traitement des risques se déplace de la gouvernance des États vers leur traitement par les individus

Il ne s’agit plus de se défendre face à une éventuelle menace mais bien de réagir à notre niveau à une attaque réelle.

Une pluralité de questions auxquelles répondront des experts, chacun dans leur domaine.

Entrée libre sur inscription dans la limite des places disponibles (avant le 10 février) :

Faire de la stratégie 

Les quatre manières fondamentales de « faire de la stratégie »[1].
Par Jérôme BARTHÉLEMY – Publié le mercredi 22 janvier 2025

Avant de formuler une stratégie, il faut commencer par se poser deux questions : 

  • dans quelle mesure l’environnement est-il prévisible ?
  • dans quelle mesure l’environnement est-il malléable ? 

En fonction des réponses qu’on apporte à ces questions, on obtient quatre manières de « faire de la stratégie ». 

1. L’approche classique est recommandée lorsque l’environnement est prévisible mais pas malléable. La taille est alors la clé du succès. Mars est un bon exemple. Ses produits phares ont été lancés en 1923 (Milky Way), 1930 (Snickers), 1932 (la barre Mars), 1941 (les M&Ms) et 1979 (Twix). Dans un secteur relativement stable, Mars investit depuis des décennies pour bénéficier d’économies d’échelle et d’expérience supérieures à celles de ses concurrents. 

2. L’approche adaptative est recommandée lorsque l’environnement n’est ni malléable ni prévisible. Il faut alors donner la priorité à l’agilité. Zara est un bon exemple. Plutôt que de chercher à prédire les vêtements qui auront les faveurs du public, elle s’adapte en permanence à leurs desiderata.

3. L’approche visionnaire est recommandée lorsque l’environnement est à la fois prévisible et malléable. La clé du succès est alors la rapidité. Il faut être le premier à saisir les opportunités qui émergent. Au milieu des années 1990, il était clair pour une entreprise comme UPS que la vente en ligne était le futur de la logistique. L’entreprise américaine a alors investi près d’un milliard de dollars pour devenir un « acteur-clé du commerce électronique mondial ».

4. L’approche orchestratrice est recommandée lorsque l’environnement est malléable mais pas prévisible. Apple et Google ont utilisé cette approche. Comme il est difficile de savoir quelle ‘app’ connaîtra le succès, les deux entreprises américaines ont externalisé leur développement à des entreprises spécialisées. Elles se contentent de gérer un écosystème.

En bref, il n’y a pas d’approche unique de la stratégie. En fonction du caractère plus ou moins prévisible et malléable de l’environnement, une entreprise a intérêt à opter pour l’approche classique, l’approche adaptative, l’approche visionnaire ou l’approche orchestratrice. 

Source : Reeves, Martin, and Knut Haanaes. 2015. Your strategy needs a strategy: How to choose and execute the right approach. Harvard Business Review Press ; Wiltbank, R., Dew, N., Read, S., & Sarasvathy, S. 2006. “What to do next? The case for non-predictive strategy”, Strategic Management Journal, 27(10), 981-998.


[1] https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Jerome-Barthelemy-Les-quatre-manieres-fondamentales-de-faire-de-la-strategie-_3753483.html?utm_source=sendinblue&utm_campaign=&utm_medium=email

Autonomie stratégique : l’Europe peut-elle se passer des États-Unis ?

Entretien avec Justin Logan, directeur des études de défense et de politique étrangère au think tank conservateur américain CATO institute. Propos recueillis par Henrik Werenskiold. Article original paru dans Geopolitika. 
Traduction de Conflits. Publié le 19 septembre 2024. 
© https://www.revueconflits.com/autonomie-strategique-leurope-peut-elle-se-passer-des-etats-unis/

Justin Logan est le directeur des études de défense et de politique étrangère à l’Institut Cato. Il est un expert de la grande stratégie américaine, de la théorie des relations internationales et de la politique étrangère américaine. Ses recherches actuelles portent sur trois sujets : l’échec des efforts des États-Unis en matière de partage de la charge au sein de l’OTAN ; l’équilibre changeant du pouvoir en Asie ; et la pertinence limitée du Moyen-Orient pour la sécurité nationale américaine.

Les Français ont été les premiers à promouvoir l’idée d’une autonomie stratégique européenne. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Pensez-vous qu’il soit possible d’établir un commandement militaire européen unifié doté d’une véritable autonomie stratégique ?

De nombreux Européens perçoivent d’un certain œil l’ambition persistante de la France de diriger l’Europe, mais d’un point de vue américain, l’intérêt des États-Unis réside dans le maintien de la division de l’Europe. Cette position découle de notre participation à la Première Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale et à la Guerre froide, au cours desquelles nous avons cherché à empêcher la domination de l’Allemagne du Kaiser Wilhelm, de l’Allemagne d’Adolf Hitler ou de l’Union soviétique.

Du point de vue de la realpolitik américaine, l’objectif est d’empêcher un pays de dominer l’Europe, tout en permettant à l’Europe de se défendre, ce qui ne devrait pas être trop difficile si l’on compare l’économie et la population de l’Union européenne à celles de la Russie. En outre, si l’on considère les luttes de la Russie en Ukraine, il est clair que la Russie n’est pas candidate à la domination de l’Europe.

Nous sommes donc parvenus à une situation aussi favorable que possible du point de vue américain. Les conflits, l’instabilité et les guerres peuvent persister en Europe, mais l’objectif central des États-Unis, qui était d’empêcher un pays de dominer le continent, a pour l’essentiel été atteint. Il s’agit là d’une évolution positive dont les États-Unis devraient se féliciter.

Pensez-vous que l’Europe a déjà la capacité de se défendre contre la Russie sans le soutien des États-Unis ? La guerre en Ukraine se déroulerait très probablement différemment sans le soutien militaire des États-Unis.

Certes, mais les États-Unis ne sont pas engagés comme si l’Ukraine était un allié de l’OTAN, puisque nous ne sommes pas directement impliqués dans les combats. Il est donc concevable d’envisager un scénario de guerre en Europe dans lequel les États-Unis ne combattent pas activement, mais soutiennent l’effort de guerre par d’autres moyens. Nous pouvons fournir différents types de soutien, mais pas de personnel militaire proprement dit.

Je pense qu’un exemple pertinent du conflit ukrainien, qui pourrait s’appliquer plus largement à l’Europe, est le partage par les États-Unis de ce que nous appelons ISR : Intelligence, Surveillance et Reconnaissance (les moyens de recueil du renseignement militaire nécessaire pour mener une campagne). Non seulement nous avons détecté les mouvements russes dès le début de la guerre, ce qui a été bénéfique pour l’effort de guerre de l’Ukraine, mais nous avons également fourni un soutien ISR à l’armée ukrainienne tout au long du conflit jusqu’à aujourd’hui, ce qui a été essentiel pour elle.

Ces capacités pourraient également soutenir l’Europe en cas de conflit armé, étant donné que l’Europe ne dispose pas des capacités satellitaires et de surveillance que nous possédons. Nous pourrions ainsi poursuivre ce soutien sans déployer de troupes. Cela ne veut pas dire que nous cesserions de communiquer ou de coopérer avec les Européens, mais l’idée que les États-Unis doivent être le nœud central de la défense de l’Europe semble fantaisiste.

Alors oui, que ce soit à travers la vision de Macron, l’UE, ou même une potentielle alliance franco-germano-britannique – ce qui semble étrange à mentionner – je crois qu’ils trouveront leur voie. Mais je n’ai pas de préférence particulière quant à la manière dont elle devrait être structurée, que ce soit par le biais de l’UE ou d’une alliance tripartite.

Toutefois, l’idée que la Russie puisse étendre ses lignes d’approvisionnement actuelles de plusieurs centaines de kilomètres en Europe et être efficace dans un endroit comme la Pologne semble également irréaliste, en particulier avec le niveau actuel de soutien militaire des États-Unis et d’autres pays européens. Il peut sembler étrange de dire cela pendant le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, mais du point de vue des États-Unis, il s’agit d’une histoire positive. Nous avons appris que l’armée russe s’efforce de pulvériser l’Ukraine, ce qui indique que nous avons surestimé ses capacités militaires.

Oui, c’est terrible pour l’Ukraine et probablement pour la Russie, mais c’est avantageux pour nous. Si les Russes ne parviennent pas à vaincre rapidement l’Ukraine, ils seront confrontés à d’immenses défis face à des pays comme la France ou l’Allemagne.

Vous dites donc que le statu quo actuel est en fait le meilleur pour les États-Unis parce que vous voudriez que les capacités de défense européennes soient décentralisées, en ce sens que vous ne voudriez pas qu’une seule entité contrôle tout le potentiel militaire du continent ?

Je ne pense pas que le statu quo soit le meilleur scénario, car les États-Unis ont actuellement 100 000 soldats stationnés en Europe, et je ne veux pas avoir 100 000 soldats en Europe. Je ne pense pas que la défense de l’Europe nécessite 100 000 soldats américains stationnés en permanence sur le continent. Je pense donc que si nous commencions à prendre nos distances avec l’OTAN, que ce soit par le biais d’une « OTAN dormante » ou en commençant unilatéralement à retirer des troupes d’Allemagne, cela provoquerait une nouvelle onde de choc au cœur de l’Europe, tout comme l’a fait l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Mais je pense qu’une « onde de choc sécuritaire européenne » supplémentaire serait en fait une bonne chose du point de vue des États-Unis, car elle forcerait la Zeitenwende (évolution, tournant, changement), qui n’est actuellement qu’un tour de passe-passe comptable, à se transformer peut-être en quelque chose de réel. Dans ce contexte, si l’on observe l’opinion publique allemande sur les dépenses militaires, on constate que la question d’un récent sondage était très défavorable cette l’idée. La question était la suivante : « Devrions-nous dépenser davantage pour la défense, même si cela devait se faire au détriment d’autres priorités nationales, y compris la protection sociale et les infrastructures ? Et ce n’est pas une majorité, mais une pluralité – 46 ou 47 % des Allemands – qui a répondu par l’affirmative à cette question.

Quant aux autres options, elles sont soutenues à hauteur de 30 % et 20 % respectivement. C’est assez frappant pour moi. Ainsi, plutôt que de voir les Allemands gaspiller des milliards d’euros pour des F-35 qu’ils n’utiliseront jamais, il serait bon qu’ils utilisent ces ressources, ou peut-être des ressources supplémentaires, d’une manière plus intelligente qui se traduise réellement par une puissance militaire sur le terrain.

En Europe, il est difficile pour les hommes politiques de préconiser des réductions des programmes de protection sociale, des dépenses sociales et des dépenses de l’État, qui pourraient être nécessaires pour augmenter les dépenses militaires. Une façon de contourner partiellement ce problème est d’en avoir plus pour son argent en réduisant les redondances entre les armées européennes et en améliorant leur complémentarité.

Existe-t-il un moyen de les rendre plus complémentaires, ou est-ce tout simplement impossible en raison de questions telles que le réalisme politique, le nationalisme, les intérêts nationaux et le trop grand nombre d’intérêts divergents entre les différents États européens ?

La réponse honnête est que je ne sais pas, mais il y a certainement moyen de réduire les redondances. Reste à savoir s’il s’agit d’une mise en commun de la souveraineté ou de quelque chose de beaucoup plus ambitieux. On a parlé d’une armée européenne, ce qui est peut-être tiré par les cheveux. Mais il est certain que les redondances pourraient être réduites. L’Europe compte des dizaines d’armées, de forces aériennes, de marines, etc. différentes, dont les capacités sont redondantes. Ces forces pourraient certainement être rationalisées afin de devenir une force de combat plus efficace.

Ces ressources pourraient être utilisées, positionnées, mises en commun et donc mieux appliquées. Encore une fois, je suis agnostique et incertain quant à savoir si ces efforts devraient passer par l’Union européenne ou par une sorte d’accord multilatéral entre les États concernés. Mais en fin de compte, soit vous pensez que ces pays européens se soucient de leur sécurité et de leur survie, soit vous ne le pensez pas. Je suis dans le camp de ceux qui pensent que c’est le cas.

Mais ils sont très heureux de pouvoir compter sur les États-Unis et de s’appuyer sur eux autant que possible. Je ne les blâme pas du tout ; je pense qu’ils sont intelligents. Je ne reproche pas aux Européens d’accepter la gratuité ; je nous reproche de la leur offrir. Il y a une métaphore que j’aime utiliser : Si nous vous invitons à dîner et que nous payons l’addition, pour nous plaindre ensuite que les Européens n’ont pas payé, c’est que nous avons invité. Eh bien, nous avons invité. C’était notre marché, et nous aimons être le joueur le plus important à la table. Personnellement, je n’aime pas cela ; cela ne vaut pas le coût pour nous.

Je pense donc que nous devrions commencer à retirer des troupes de pays comme l’Allemagne et communiquer clairement et amplifier ce sentiment de menace. En d’autres termes, il faut leur faire comprendre qu’ils ont un grave problème qu’ils doivent régler, et voir ce qui se passe. Je pense que les Européens se ressaisiraient rapidement dans un tel scénario. Je ne suis toutefois pas certain de la manière dont cela fonctionnerait. Beaucoup de gens diront, oh, il faut passer par l’UE, il faut des obligations de défense ; ou non, il faut passer par Paris, ou non, il faut une version plus nationale.

Mais d’un point de vue américain, la façon dont elle serait organisée à la fin n’a pas vraiment d’importance. Le seul danger serait que les Européens restent littéralement les bras croisés et regardent l’armée russe traverser l’Ukraine et la Pologne et pointer un poignard au cœur de l’Allemagne. Je pense que c’est de la science-fiction. Je pense que ce n’est pas une perspective réelle du point de vue américain. Et je pense que les Européens, s’ils y sont contraints, en feront plus, sous une forme ou une autre, pour compenser l’absence de forces terrestres américaines.

Faisons donc une expérience de pensée. Supposons que l’Europe augmente considérablement sa capacité militaire, qu’elle gagne beaucoup plus d’autonomie stratégique et qu’elle devienne en quelque sorte un pôle de puissance indépendant et militairement compétent dans le système international. Voyez-vous un scénario dans lequel elle pourrait utiliser sa puissance militaire d’une manière préjudiciable aux intérêts américains, par exemple en Méditerranée ou dans l’étranger proche de l’Europe ?

Je pense que nous sommes si loin d’un tel scénario que je serai mort avant qu’il ne se réalise. Il est vrai que mon horizon temporel est un peu court. Mais je pense que nous en sommes très loin.

Et je pense que c’est également ironique. La seule fois où j’entends cet argument réaliste très dur, c’est de la part d’internationalistes libéraux des États-Unis qui aiment être au centre de la sécurité européenne. Et je me dis : « Attendez une minute, c’est un argument de type John Mearsheimer que vous avancez. Et vous êtes un internationaliste libéral en règle.

Ce sont des points de vue qui s’excluent mutuellement, alors lequel est le bon ? Mais il arrive que les gens défendent ces deux points de vue en même temps, et c’est incohérent. D’une part, nous craignons que l’Europe n’assume pas plus de responsabilités si nous en faisons moins. D’autre part, nombre de ces mêmes personnes affirment que nous devrions faire attention à ce que nous souhaitons, car si l’Europe se met en ordre de marche, elle s’alignera d’une manière ou d’une autre contre nous. Mais je pense que cette perspective est si lointaine que nous ne devrions pas y prêter attention.

Je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter à ce stade. Et je ne pense pas franchement, même en tant que réaliste, que les intérêts de l’Europe s’opposent fondamentalement aux intérêts des États-Unis. Je pense que nous sommes fondamentalement des puissances de statu quo qui se complètent dans le système international. Par ailleurs, je pense qu’à moyen terme, les problèmes démographiques de l’Europe vont poser de réelles contraintes à sa capacité de projection de puissance, de la même manière que les problèmes démographiques de la Chine et de la Russie vont poser des contraintes à leurs capacités de projection de puissance.

Je suis donc prêt à courir ce risque, car je pense qu’un tel scénario a une faible probabilité de se réaliser. Je pense que c’est comme un risque de queue sur l’axe X d’une courbe de distribution normale. Donc, si nous en arrivons à un point où c’est la principale préoccupation des spécialistes américains de la sécurité, je dirais que nous sommes dans une situation formidable, parce qu’il n’y a pas beaucoup de raisons de s’inquiéter.

Revenons à notre point de départ. Vous affirmez que l’Europe peut essentiellement s’occuper de sa propre sécurité et que les États-Unis peuvent plus ou moins se retirer complètement du continent et se concentrer à 100 % sur l’Asie de l’Est, en suivant l’argument d’Elbridge Colby ?

Je pense que je vais encore plus loin que Bridge. Je pense que Bridge essaie d’être un peu plus modéré que moi. Je pense que l’Europe devrait assumer seule la mission de dissuasion conventionnelle. On peut donc se demander ce qu’il en est du parapluie nucléaire. Qu’en est-il des capacités ISR, que j’ai déjà évoquées ?

Il est vrai que ces éléments sont très difficiles à remplacer à court terme, en particulier la question nucléaire. Mais je pense que la décision américaine – non négociable – devrait être que nous n’aurons plus de forces terrestres en Europe ; ces troupes rentrent en fait à la maison pour de bon. Non seulement cela, mais les bases navales de la péninsule ibérique et de l’Italie disparaissent également.

Je pense que les Américains devraient commencer cette évolution dès que possible. Ensuite, si les gens commencent à se plaindre ou à s’inquiéter de l’extension de la dissuasion ou autre, nous pourrons discuter de la manière de gérer cela. Mais oui, les intérêts américains en Europe seront essentiellement garantis sans les efforts militaires américains.

Maintenant, si je devais argumenter contre moi, je dirais : voulez-vous vraiment dire que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni pourraient dissuader la Russie d’attaquer l’Estonie, la Lituanie ou la Lettonie ? Je pense que c’est un bon contre-argument. Je répondrai qu’il s’agit d’une mission militaire terriblement difficile, avec ou sans les États-Unis.

L’environnement géographique permissif est vraiment difficile à surmonter. Et à moins de poster 70 ou 80 000 soldats le long de la frontière entre les États baltes et la Russie, ce que nous ne ferons pas, nous sommes dans le même bateau, n’est-ce pas ? Nous espérons essentiellement que le bluff ne sera jamais suivi d’effet. Parce que l’obtention d’un niveau de dissuasion qui rendra Tallinn et Vilnius à l’aise n’est pas possible sans les États-Unis.

Et nous ne le faisons pas actuellement. L’ancien premier ministre estonien, Kaja Kallas, a récemment déclaré qu’avec les plans actuels de l’OTAN, qui prévoient une défense en profondeur, « mon pays serait rayé de la carte ». Je pense qu’elle a raison sur le fond. Mais du point de vue d’un réaliste américain pur et dur, ce serait très bien. Nous atteindrions une sorte de ligne durable qui serait défendable pour protéger les intérêts américains.

Mais si vous cherchez une sorte de position de défense avancée ou de dissuasion par le déni à un niveau conventionnel contre la Russie dans les pays baltes, ce n’est tout simplement pas faisable. Ce serait comme dire que les Chinois essaient de protéger Sonora (désert mexicain le long de la frontière avec les USA) contre les Américains. Ce n’est pas possible, c’est tout simplement impossible.

Et il y a la dissuasion nucléaire et toutes sortes d’autres choses qui tournent autour. Mais si vous voulez une marge militaire confortable dans les pays baltes, vous ne l’aurez en aucun cas. C’est regrettable. Je pense donc qu’une bonne réponse à mon argument est de dire que les pays baltes seraient vulnérables dans le cadre de votre plan. Et mon contre-argument serait de dire que les pays baltes sont déjà vulnérables à l’heure actuelle. La géographie est un maître cruel qui nous gouverne tous.

Aujourd’hui, l’Europe achète une grande partie de son matériel militaire à des entreprises de défense américaines. Ces entreprises dépendent du fait que l’Europe soit le partenaire junior et ne s’engage pas dans des programmes paneuropéens d’acquisition de matériel de défense, ce que l’autonomie stratégique impliquera très probablement.

Pensez-vous que les intérêts enracinés au sein de l’establishment militaire et des complexes industriels américains peuvent mettre des bâtons dans les roues pour qu’un véritable changement se produise ? Pensez-vous qu’il soit préjudiciable aux intérêts américains que l’Europe cesse d’acheter ces quantités massives d’équipements de défense américains ?

Ils essaieront certainement de le faire, et c’est d’ailleurs ce qu’ils font. Donc, au sens étroit de la base industrielle de défense américaine, oui, c’est préjudiciable à leurs intérêts. Mais dans le sens plus large d’une position de défense plus autonome de l’Europe, non. Je vois là un compromis.

Historiquement, les Américains ont dit : « Europe, tu devrais dépenser beaucoup plus pour la défense, tu devrais acheter du matériel américain, et tu devrais l’utiliser aux moments et aux endroits où nous te suggérons de l’utiliser ». C’est un raisonnement fantaisiste. Je ne pense pas que cela puisse se produire.

Par conséquent, si nous voulons que l’Europe dépense davantage, je pense qu’il est plus probable que cela se produise si l’Europe se procure davantage de matériel militaire européen. En d’autres termes, les gens comme moi se plaignent du complexe militaro-industriel du Congrès. Il est très difficile de fermer une chaîne de production, et il est très difficile de fermer une base militaire. Tout cela est vrai.

Mais ce serait également vrai en Europe, n’est-ce pas ? L’augmentation de la production militaire en Europe exercerait une pression à la hausse sur les dépenses de défense parce qu’elle créerait des circonscriptions pour ces dépenses. Je pense donc que si nous sommes vraiment sérieux et que nous pensons vraiment que l’Europe devrait faire plus pour elle-même, comme je le fais, alors une partie de ces achats devra provenir de la production européenne.

Et c’est une mauvaise chose du point de vue de l’un des cinq grands entrepreneurs américains du secteur de la défense. Mais en politique internationale, les compromis sont omniprésents. Je pense qu’il est important de ne pas réduire l’intérêt national américain aux intérêts de Lockheed, Boeing et Raytheon. Je veux dire par là que c’est quelque chose qu’il ne faut pas faire du point de vue de la haute politique. Alors oui, il serait certainement mauvais pour ces entreprises qu’il y ait une base industrielle de défense européenne plus importante. Mais pour les États-Unis, dont la dette s’élève actuellement à 35 000 milliards de dollars, c’est une bonne chose.

Conférence de Alain JUILLET

Le bouleversement mondial : Déclin ou opportunité pour la France.
Par Alain JUILLET

Mardi 17 septembre à 18 heures, au Palais des Congrès de Rochefort
Événement gratuit mais soumis à inscription : strategie@ihednpoitoucharentes.fr

  • Officier au service Action du SDECE, puis directeur du renseignement à la DGSE.
  • Haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier Ministre.
  • Président d’honneur de l’Académie d’intelligence économique et du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises.
  • Président de l’Amicale des anciens des services spéciaux de la défense nationale.

Bonjour à tous.

Nous sommes maintenant à quelques jours de la rentrée.

Mardi 17 septembre à 18 heures, au Palais des Congrès de Rochefort, en partenariat avec la ville de Rochefort, le comité de Charente-Maritime de notre association régionale organise une conférence qui sera prononcée par Monsieur Alain Juillet sur le thème : « Le bouleversement mondial : Déclin ou opportunité pour la France ». 

On ne présente plus Monsieur Alain Juillet qui est un conférencier d’envergure nationale, et qui est l’un de nos meilleurs spécialistes des questions d’intelligence économique dans notre pays. Issu du secteur privé, Monsieur Juillet a été notamment cadre dirigeant dans le secteur de l’agroalimentaire, puis directeur de la recherche à la DGSE et enfin Haut responsable à l’intelligence économique auprès du Premier Ministre.

Je compte sur la présence nombreuse de nos camarades de Charente-Maritime à cette conférence à laquelle nos camarades des autres départements sont également conviés.

Pour satisfaire aux conditions d’une bonne organisation, tous les camarades de notre association régionale souhaitant participer à cette présentation devront s’inscrire à l’adresse de messagerie notée à la fin du document d’invitation.

Je prie les vice-présidents départementaux d’assurer de nouveau une large diffusion de ce message avec la mention PRIORITÉ HAUTE.

Avec mes remerciements.

Paul MORIN
Président de l’AR-18