Du Kosovo à l’Ukraine : la guerre devant la justice

Par Patrice de Charette – Magistrat – Membre associé du Comité Aunis-Saintonge
Détaché au Kosovo le 5 février 2000, coordinateur des programmes à l’Institut judiciaire, puis juge international.

Cicéron disait : « Quand les armes parlent, le droit se tait ». Ceci n’est plus vrai, la justice peut désormais intervenir sur les crimes commis pendant les conflits armés :

  • Crimes de guerre : exactions commises contre les civils, pendant les conflits armés,
  • Crimes contre l’humanité : exactions commises de façon systématique et généralisée, dans le cadre d’un plan,
  • Génocide : destruction intentionnelle de tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux,

Qui peut juger ces crimes ?

  • Les tribunaux nationaux pour les crimes commis sur leur territoire
  • Les tribunaux étrangers dans le cadre de la compétence universelle 
  • Les cours mixtes, tribunaux nationaux dans lequel siègent des juges étrangers. Ces cours ont été créées au Kosovo en 2000 pour juger les Serbes accusés de crimes de guerre. Le modèle a été reproduit ensuite : chambres extraordinaires du Cambodge, pour juger les Khmers rouges, chambre spéciale du Sénégal pour juger le dictateur tchadien Hissene Habré, chambre spéciale de Centrafrique, en activité actuellement
  • Les tribunaux spéciaux, généralement créés par l’ONU : Nuremberg, tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie, tribunal pénal international pour le Rwanda, tribunal spécial pour le Liban
  • La cour pénale internationale, juridiction permanente, créée par le statut de Rome, traité international conclu en 1998. Elle n’est pas normalement compétente pour intervenir en Ukraine, puisque la Russie n’a pas signé le statut de Rome, mais une exception à celui-ci rend possible son intervention si l’Ukraine le demande, ce qui a été fait, et si des Etats signataires du statut de Rome le demandent également, ce qui a été le cas, puisque 41 États ont demandé l’intervention de la Cour.

La remontée de la chaîne de commandement pour les crimes de guerre commis en Ukraine sera compliquée. La Cour a choisi une autre voie en mettant Poutine en accusation pour déplacement forcé d’enfants, crime de guerre, avec mandat d’arrêt.

Sauf arrestation improbable de Poutine, celui-ci ne pourra pas cependant être jugé pour ce crime, car la procédure anglo-saxonne, en vigueur devant la CPI, ne permet pas le jugement par contumace 

Une seule solution pour juger directement Poutine : utiliser le crime d’agression (agression d’un État par un autre) en créant un tribunal spécial.
La création de ce tribunal est réclamée par de nombreuses autorités, notamment la Commission européenne. Le crime étant d’ores et déjà établi, le jugement serait facile et possible notamment par contumace, si le traité international qui crée ce tribunal le décide.
Le chemin sera long pour créer ce tribunal spécial. Il permettrait de consacrer judiciairement la responsabilité du chef d’État russe.

Beaucoup d’échanges après cette conférence :

  • Exécution des décisions ; crime de guerre définition de guerre ; crime d’agression 
  • De nombreuses questions sur le conflit Russo/Ukrainien

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Fonds documentaire.

Définitions [Nations Unies]

Génocide

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Article II – Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un 8quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

  • Meurtre de membres du groupe;
  • Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
  • Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
  • Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Crimes contre l’humanité

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Article 7 – Crimes contre l’humanité

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

  • Meurtre ;
  • Extermination ;
  • Réduction en esclavage ;
  • Déportation ou transfert forcé de population ;
  • Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
  • Torture ;
  • Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
  • Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
  • Disparitions forcées de personnes ;
  • Crime d’apartheid ;
  • Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Crimes de guerre

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Article 8 – Crimes de guerre

2. Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » :

  • Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève :
  • L’homicide intentionnel ;
  • La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
  • Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ;
  • La destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
  • Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d’une puissance ennemie ;
  • Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;
  • La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ;
  • La prise d’otages ; […]

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Portrait – Un juge acerbe

Patrice de Charette, 52 ans, magistrat. Chargé par l’ONU, sans moyens, de mettre sur pied une vraie justice au Kosovo.
par Marc Semo. Publié le 15 janvier 2003. Extrait :

[Patrice de Charette] fut pendant deux ans magistrat international au Kosovo. Il siégea même à la Cour suprême de cette province du sud de la Serbie, placée depuis juin 1999 sous protectorat de l’ONU.

Patrice de Charette arrive à Pristina en février 2000.
Avec ses lugubres immeubles socialistes bordant des avenues noyées, selon la saison, par la boue ou la poussière, la ville n’a rien d’un lieu de villégiature. « Des milliers de corneilles nichées dans les arbres et les décombres s’envolent tous les soirs au crépuscule avec un bruit d’enfer », écrit-il dans l’un de ses premiers e-mails.
Il fait froid et l’électricité est souvent coupée. « Elle fonctionnait par roulement, en tranche de quatre heures », raconte le magistrat, qui témoigne de son expérience, dans un livre drôle et quelque peu amer (1).
C’est un juge qui aime et sait écrire. Il a toujours été l’une des meilleures plumes du Syndicat de la magistrature. Il narre les interminables soirées à la lueur des bougies. Impossible de lire les bouquins ­beaucoup de polars et un peu de SF emportés depuis Paris.
Difficile de sortir aussi, car il répugne à déranger à nouveau les hommes d’escorte qui toute la journée ont travaillé à ses côtés.
C’est une vie plutôt solitaire dans une espèce de bulle blindée.

Défini pourtant comme prioritaire, le chantier de la justice au Kosovo est pour le moins laborieux.
Surtout au début. Quel code pénal appliquer ? Il a fallu près d’un an à l’ONU pour en décider.
Les procès s’enlisent. Les prisons sont des passoires. Réaliser une autopsie représente une gageure si le meurtre n’a pas eu lieu dans la capitale. « Les policiers internationaux ne voulaient pas salir les sièges de leur belle voiture avec le cadavre mais aucun budget n’était prévu pour payer les entreprises locales de pompes funèbres », raconte Patrice de Charette.
Les choses se sont depuis un peu améliorées mais le fonctionnement de la justice représente le principal fiasco de l’action de la communauté internationale dans cette ex-région autonome de l’ex-Yougoslavie. « En tant que juge on voit les choses au jour le jour dans toute leur crudité. Beaucoup d’énergie a été gaspillée pour des résultats en partie décevants », reconnaît le magistrat qui admet désormais ne plus avoir trop d’illusions sur la grosse machine de l’administration onusienne du Kosovo, la Minuk.
« C’est une leçon d’humilité pour la communauté internationale. Elle a privilégié le court terme alors que la justice représente la condition même d’une réconciliation durable entre les communautés », raconte le magistrat qui n’eut pas toujours des rapports faciles avec l’administrateur de l’ONU, Bernard Kouchner.

Sa tâche au début est de mettre sur pied la future école de la magistrature. En fait, il s’agit surtout de faire de la formation.
Dès l’instauration du protectorat de l’ONU, des centaines de nouveaux juges kosovars sont nommés.
Les Albanais sont pour la plupart d’anciens magistrats chassés en 1989, au moment de la reprise en main par Belgrade.
Pour les Serbes, il a fallu trouver des juristes pas trop compromis, mais presque tous boycottent les nouvelles institutions.
Le système patine. A peine protégés, les juges locaux gardent un profil très bas dans les affaires de crimes de guerre ou de mafia. En outre, ils sont mal payés. « Moins qu’une femme de ménage travaillant pour la Minuk », ironise Charette.
L’ONU décide finalement de les épauler sur les dossiers sensibles par des juges internationaux. Il se porte volontaire.
On l’envoie à Gjilan, grosse ville du sud-est, en secteur américain.

Son premier gros dossier est celui de deux frères serbes accusés d’avoir tué un ex-guérillero albanais qui, à la tête d’une petite foule, attaquait leur maison.
Croupissant en préventive depuis plusieurs mois, ils clament avoir agi en légitime défense.
Aucune autopsie n’a été effectuée sur la victime.
Une cassette vidéo de l’incident n’a même pas été visionnée. Finalement, il s’avère que les balles meurtrières ont été tirées par les soldats américains en dispersant la foule.
Il n’est pas évident non plus pour un juge de travailler sans cesse avec un traducteur. « On arrive quand même à sentir si sa déposition sonne juste », raconte Patrice de Charette, qui fut ensuite nommé à Pristina à la Cour suprême. […]

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Les Oiseaux noirs du Kosovo.
Un juge à Pristina

Patrice de Charente, nommé par l’ONU comme juge international au Kosovo, raconte l’extraordinaire expérience qu’il a vécue pendant deux ans dans ce territoire dévasté, en proie à des tensions ethniques meurtrières. Il décrit sans complaisance les errements de l’ONU et dit le combat quotidien pour la construction d’une justice démocratique.
© https://www.decitre.fr/livres/les-oiseaux-noirs-du-kosovo-9782841861798.html

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Kosovo : une expérience
de justice transitionnelle

Par  Anna Adamska-Gallant
– Dans Délibérée 2017/2 (N° 2), pages 70 à 76
– Éditions La Découverte

Union-IHEDN & AR-18 – Rapport Annuel 2022

L’Union-IHEDN est le pôle fédérateur des associations d’auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Fondée en 1975, l’Union-IHEDN (as- sociation loi 1901) regroupe et fédère l’ensemble des 40 associations d’auditeurs de l’IHEDN, classées en grandes catégories :
• 2 associations nationales AA-IHEDN, 3AED-IHEDN
• 1 association thématique IE-IHEDN
• 32 associations régionales, métropolitaines et ultramarines
• 5 associations internationales Europe-IHEDN, Euromed-IHEDN, Afrique-IHEDN, AMLAT-IHEDN et AMO- IHEDN

L’Union-IHEDN a pour vocation de créer des synergies, renforcer la communauté des au- diteurs, susciter, développer et coordonner les activités menées par les associations afin de sensibiliser le plus grand nombre aux questions stratégiques et contribuer au rayonnement de l’esprit de défense.
Le maillage que les associations représentent sur le territoire national contribue au renforcement de la cohésion nationale.
Au sein de chacune des associations, soit 5242 membres cotisants composés de décideurs, hauts responsables des armées, de la fonction publique et du secteur privé ainsi que de jeunes actifs, poursuivent la réflexion qu’ils ont commencée lors de leur formation durant les sessions vécues à l’IHEDN.
Ils s’investissent dans de nombreux domaines et par exemple au service des enseignants et des élèves de l’Éducation nationale ainsi que des élèves de l’enseignement agricole et des étudiants de l’enseignement supérieur par le biais des trinômes académiques.

D’autres sont membres des différentes réserves, certains encore remplissent les fonctions de conseillers de défense. Dans ce cadre, ils sensi- bilisent les élus aux problèmes de défense, ap- portent leur expertise dans différents domaines dont l’intelligence économique, et mettent leurs compétences à disposition des préfets et des élus sur tout le territoire national ainsi que dans les DROM-COM.

En outre, l’Union-IHEDN publie trimestrielle- ment sa revue Défense. Chaque année elle or- ganise un forum des études https://www.union-ihedn. org/page/le-forum-des-etudes qui permet aux auditeurs de présenter la synthèse des travaux menés dans le cadre d’un thème annuel de réflexion et de la formation continue des associations.

Par son site internet, elle communique sur les activités à venir ou réalisées.
https://www.union-ihedn.org/category/note-de-position
La revue de presse « défense » hebdomadaire est aussi accessible en ligne.
https://www.union-ihedn.org/page/revue-de-presse

Extrait : Activités concernant l’A-18 Poitou-Charentes

Suite à une volonté de l’AR de s’inscrire dans une démarche de proximité en donnant de la visibilité à ses actions, l’AR-18 a constaté un meilleur rayonnement local de l’association. Outre ses nombreuses activités, cela est dû à une évolution de ses modes de communication, notamment par l’utilisation du communiqué de presse.
Sur l’initiative de l’AR18, et en coopération avec la Délégation Militaire Départementale de Charente-Maritime, un rassemblement des correspondants défense des conseils municipaux du département a été organisé.

Études.
Pour la première fois, depuis plusieurs année, l’AR s’est investie dans un travail de réflexion sur le thème de la résilience (comité de la Charente). Cette étude est installée sur le site internet de l’AR.
L’AR-18 a en outre participé à la restitution des travaux du sujet national 2022 à Bordeaux.

Les Rallyes, des opérations majeures dans le cadre du Trinôme académique.

  • Les rallyes citoyens sont désormais bien installés dans le paysage local. Un nouveau rallye citoyen a été organisé en 2022, ce qui porte le nombre à 5 dans la zone de compétence de l’AR-18.
  • L’organisation s’appuie sur une journée alternant activités physiques et intellectuelles (QCM sur l’Europe). Elle permet aux jeunes à la fois de découvrir toutes les facettes de la défense et bien souvent d’ail- leurs de susciter ou de conforter des vocations dans ces secteurs :
    • Rallye-citoyen collégien de la Charente-Maritime, Base aérienne 721 de Rochefort Saint Agnant, le 18 mai 2022 ;
    • Rallye-citoyen lycéen de la Charente, Camp militaire de Broche à Dirac ;
    • Rallye-citoyen collégien des Deux-Sèvres, Niort 79000 ;
    • Rallye-lycéen de la Charente-Maritime, Base aérienne 721 de Rochefort Saint Agnant ;
    • Rallye-citoyen lycéen de la Vienne, L’Europe, Caserne Aboville, Poitiers.

Service national universel.

    • Le CSNJ de Poitiers a organisé une formation initiale pour huit auditeurs et membres associés, permettant d’intervenir lors de huit vacations en soutien des animateurs du ministère de la défense, pour l’animation du jeu « décision-défense » présenté par le ministère des armées.
    • Les interventions des auditeurs de l’AR-18 lors des sessions SNU, sont hautement appréciées, apportant « un plus » en termes de connaissance géopolitiques et militaires.

Conférences et colloques.

  • Intervention à Chauray 79000 Organisée par le comité des Deux-Sèvres de l’AR 18 du député Fièvet, membre de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, et spécialiste des questions de sécurité civile.
  • Intervention à Poitiers Organisée par le comité de la Vienne, de la députée Ballet-Blu, membre de la commission de la défense à l’Assemblée nationale.
  • Conférence sur la thématique des drones à Poitiers organisée par le comité de la Vienne, en prévision de la visite de la BA 709 de Cognac où est stationné un régiment opérationnel de drones.

Soutien aux sessions régionales.

  • 225ème session régionale. Mise à disposition du carnet d’adresse de l’AR-18 permettant d’organiser la première semaine de cette session à La Rochelle.
  • Participation de 5 auditeurs de l’AR à la première réunion constitutive des groupes de travail.

Actions auprès de la communauté enseignante et de la jeunesse.

  • Participation de l’AR-18 au colloque dédié à la « Journée de l’Engagement », organisée par le rectorat au profit des jeunes de l’éducation nationale (Niort). L’AR18 était représentée par la responsable du trinôme académique qui a présenté les missions de l’IHEDN, de l’Union IHEDN et les activités de l’AR-18. 150 participants.
  • Cycle de conférences donnés par l’AR auprès des classes Défense et sécurité globales au lycée Jean d’Arc de Surgères (Charente-Maritime) sur les thèmes de la défense globale, les valeurs de la République et la politique de défense de la France, les nouvelles technologies dans l’Armée française. Excellente réceptivité des élèves.
  • Formation des enseignants aux questions de défense dans le cadre du trinôme académique sous la forme d’un colloque au lycée Grégoire à Angoulême (Charente)., Présentation de l’IHEDN, de l’Union IHEDN et de l’AR18., excellents retours de la majorité des enseignants.
  • Colloque sur le thème de la cyber-sécurité à destination des jeunes de l’éducation nationale et du grand public, Palais des Congrès de la ville de Rochefort avec la participation de plusieurs élus. Organisée sur une demi-journée à destination des jeunes des lycées, cette manifestation a pour objet de les sensibiliser aux bonnes pratiques relatives à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux.

Le Rapport Annuel 2022 dans son intégralité.

Art opératif

Par Bernard PENISSSON – titulaire d’un doctorat en histoire ( Paris I – Panthéon Sorbonne), agrégé de l’Université, auditeur IHEDN (SR 143), membre du comité 86

Marc FIARD, Vice-Présidant du comité 86 nous avais recommandé, à juste titre, la lecture du livre Conduire la guerre, sur l’art opératif, de Bihan et Lopez.
Je l’ai lu avec intérêt et j’en ai tiré quelques citations à la suite, car elles peuvent éclairer la conduite de la guerre en Ukraine, les deux adversaires ayant été formés au départ à la même école stratégique. Svetchine a aussi été très influencé par Clausewitz.
J’ai  ajouté une petite introduction légèrement ironique.  

Si je devais enseigner l’art de la guerre aux enfants, je définirais trois concepts fondamentaux à l’aide de quatre adverbes interrogatifs (niveau : grammaire de l’école primaire). Après tout, si l’on en croit Clausewitz, la guerre a sa grammaire et la politique sa logique. Mais si la guerre échappe à la politique, elle poursuit sa propre logique, qui est la montée aux extrêmes et le risque de l’anéantissement réciproque des adversaires. Mais revenons à nos concepts et à nos adverbes.

  • Stratégique : pourquoi faire la guerre ? (buts)
  • Opératique : où et quand conduire la guerre ? (espace-temps)
  • Tactique : comment faire la guerre ? (moyens)

Ce qui retiendra ici mon attention, pour essayer de me hisser au niveau des auditeurs de l’IHEDN, c’est le livre de Benoist Bihan et Jean Lopez, Conduire la guerre. Entretiens sur l’art opératif, Perrin, 2023, 396 p.
Les deux auteurs mènent une série d’entretiens approfondis sur le livre du stratégiste soviétique Alexandre Svetchine (1878-1938), Stratégie, paru à Moscou en 1926-1927 et traduit longtemps après en anglais (Strategy, Minneapolis, East View Publishing, 1992), mais pas encore en français. Trop intelligent et donc dangereux, Svetchine fut fusillé sur l’ordre de Staline le 28 juillet 1938. Il fut réhabilité par Khrouchtchev en 1962. Après la guerre du Vietnam, les militaires américains adoptèrent le concept d’art opératif de Svetchine, signe de la reconnaissance internationale du talent exceptionnel de ce général soviétique.

De l’art opératif, Jean Lopez donne la définition suivante : « L’art opératif est une discipline militaire à laquelle est confiée la tâche centrale d’organiser l’activité militaire en ‟ opérations ˮ, sur la base de buts fixés, eux, par la stratégie » (p. 78).
Selon Svetchine, l’art opératif c’est : « Combiner les opérations pour atteindre le but final de la guerre » (p. 81).

Benoist Bihan donne ensuite la définition de l’art opératif selon Svetchine : 

[C’est] « Une action de guerre si les efforts des troupes sont dirigés, sans interruption, vers l’atteinte d’un certain but intermédiaire dans un théâtre d’opérations militaires donné. Une opération est un conglomérat d’actions bien différentes, à savoir :

  • l’élaboration du plan de l’opération ;
  • les préparatifs logistiques ;
  • la concentration des forces amies sur leur position initiale ;
  • l’exécution de travaux défensifs ;
  • faire mouvement ;
  • livrer des batailles qui mènent à l’encerclement ou à la destruction d’une portion des forces hostiles, soit comme résultat d’un enveloppement direct, soit comme résultat d’une percée préliminaire, et capturer ou tenir une certaine ligne ou une position géographique donnée. […]

Le succès dans le développement d’une opération dépend à la fois des solutions pour chacun des problèmes tactiques et de la fourniture de tous les moyens nécessaires à la conduite de l’opération sans interruption jusqu’à ce que son but final soit atteint. Sur la base du but d’une opération, l’art opératif fixe toute une série de missions tactiques et un certain nombre de prérequis logistiques » (p. 84-85).

« Une opération est d’abord définie par son but, qui est fixé par la stratégie. Alors que la stratégie poursuit des buts, la tactique résout des problèmes, distinction fondamentale. L’opération est donc le cheminement par lequel la stratégie atteint les buts qu’elle s’est fixés » (p. 85).   

« Svetchine définit l’opération comme une séquence continue, ‟ ininterrompue ˮ, jusqu’au but fixé. Continue ne veut pas dire que les troupes  se déplacent et combattent sans arrêt, mais que l’action est entretenue dans la durée jusqu’à l’atteinte de l’objectif.
On peut donc définir l’opération comme la matérialisation – sous la forme d’une combinaison d’activités militaires de natures variées entretenues dans la durée – du cheminement par lequel la stratégie entend parvenir à l’un des buts qu’elle se fixe dans un espace-temps donné, espace-temps qui dépend des buts politiques poursuivis » (p. 91). 

Les formes de l’opération : destruction et attrition

« Svetchine n’établit pas un catalogue de formes, comme il peut y en avoir pour la tactique – avec par exemple la percée, l’enveloppement simple ou double, la feinte, l’encerclement, etc. Selon lui, l’opération découle de son but, et c’est sur la base de ce but que se décide la forme opérative. En dernière analyse, cette forme se détermine selon trois couples d’opposés : anéantissement (ou « destruction ») et attrition, offensive et défensive, manœuvre et positions. ‟ Chaque forme, dit Svetchine, a un effet important sur la ligne de conduite stratégique ˮ ; c’est-à-dire sur le cheminement vers le but de la guerre » (p. 93-94).

Offensive et défensive

« Pour le penseur russe, offensive et défensive ne s’opposent pas dans l’opération mais sont des formes complémentaires ; ce qui modifie l’aspect d’une opération donnée est le dosage entre elles. En effet, même si ‟ chaque opération est inévitablement une combinaison de moments défensifs et offensifs ˮ, c’est encore une fois le but fixé qui détermine la forme dominante : ‟ Nous faisons la différence entre des opérations offensives et défensives selon que le stratège fixe des buts positifs ou négatifs. L’avancement d’une série de buts positifs caractérise une offensive stratégique, tandis qu’une série de buts négatifs caractérise une défense stratégique. ˮ Mais une défense stratégique peut, et doit, inclure des « moments » offensifs, de la même manière qu’une offensive stratégique comporte nécessairement une dimension défensive […] y compris dans une logique d’anéantissement de l’adversaire. » (p. 103-104). [C’est un raisonnement très clausewitzien]            

« L’art opératif […] est bien une émanation de la stratégie et non une construction sur la base de la tactique, un distinguo absolument fondamental […] » (p. 109).

Les conférences du général Philippe MOUNIER

Publié le  par Christian CHAUVET

À lire en ligne ou à télécharger, les différentes conférences.

Cedant Arma Togae

– Montpellier le 10 novembre 2022. Montage de Guy RAGEOT, le Ouèbemaître [Saint-Cyr – Serment de 1914 1965]
– Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de La Rochelle
Mercredi 15 mars 2023 à 17 h 00
Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle 28 rue Albert 1er – La Rochelle (17000)

Traités Sèvres 1920 – Lausanne 1923

Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de La Rochelle
Conférence du Général Philippe Mounier
Les Traités de Sèvres 1920 et de Lausanne 1923
Mercredi 16 février 2022 à 17 h 00
Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle 28 rue Albert 1er – La Rochelle (17000)

Revue nationale stratégique

Revue nationale stratégique de novembre 2022, qui servira de support à la nouvelle LPM 2024-2030.

« Hyper » synthèse de la Revue nationale stratégique (RNS) 2022 et du discours du président de la République, prononcé le 9 novembre 2022 à Toulon.

La vision portée par cette RNS est celle d’une puissance indépendante, respectée, agile ; d’une puissance au cœur de l’autonomie stratégique européenne avec un fort ancrage atlantique, mais aux avants postes et au pivot du monde ; d’une puissance d’équilibre qui assume ses responsabilités et contribue, en partenaire fiable et solidaire, à la préservation du multilatéralisme et du droit international.

Cette RNS doit servir de base à la prochaine loi de programmation militaire (LPM) 2024- 2030, qui devra poursuivre l’effort budgétaire en matière de défense initié en 2017 et entrera en vigueur en écrasant les deux dernières années de la précédente LPM 2019-2025. Le président n’a fait aucune annonce en la matière.

La France entend rester une puissance “respectée pour son statut doté de l’arme nucléaire, moteur de l’autonomie stratégique européenne, allié exemplaire dans l’espace euro-atlantique, une partenaire fiable et crédible”.
Le président de la République a ainsi réaffirmé que la dissuasion nucléaire française “contribuait” à la “sécurité” de l’Europe.
Il a plaidé pour des “coalitions” européennes de défense, insistant au passage sur la nécessité pour la France et l’Allemagne d’aboutir plus vite dans leurs projets contrariés de coopération industrielle.
“Notre partenariat avec le Royaume-Uni doit aussi être porté à un autre niveau“, a insisté M. MACRON, citant les “opérations, les capacités, le nucléaire et le domaine hybride”, évoquant un sommet franco-britannique sur les questions de défense au premier trimestre 2023.

Nouvelle stratégie en Afrique finalisée d’ici six mois

Le chef de l’État a annoncé officiellement la fin de l’opération Barkhane au Sahel.
La nouvelle stratégie de la France en Afrique sera finalisée d’ici six mois après consultations avec ses partenaires sur le continent, a précisé le chef de l’État.
Le ministère des Armées a confirmé des “échanges nourris avec les autorités locales”, en évoquant des partenariats portant sur la formation, le renseignement et le “capacitaire”, autrement dit les équipements.

L’influence, “fonction stratégique”

Parmi les nouveaux défis, “l’influence”, qui inclut la lutte contre les fausses informations à des fins de déstabilisation, va être érigée au rang de “fonction stratégique” dans la défense de la France.
“Nous ne serons pas des spectateurs patients”, assistant à la propagation de narratifs hostiles à la France, a averti M. MACRON, promettant une action plus offensive en la matière.
Il a en revanche insisté sur la nécessaire “mobilisation” de la nation, qui va passer aussi par la généralisation du Service national universel, et l’économie de guerre” auquel le pays doit faire face.
“Il ne s’agit pas de militariser la société mais bien de renforcer l’esprit de résilience (…) pour la défense de notre souveraineté”.

Dix objectifs à atteindre.

La RNS énumère dix objectifs stratégiques à atteindre :
1) Une dissuasion nucléaire robuste et crédible ;
2) Une France unie et résiliente ;
3) Une économie concourant à l’esprit de défense ;
4) Une résilience cyber de premier rang ;
5) La France, allié exemplaire dans l’espace euro-atlantique ;
6) La France, un des moteurs de l’autonomie stratégique européenne ;
7) La France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible ;
8) Une autonomie d’appréciation et une souveraineté décisionnelle garanties ;
9) Une capacité à se défendre et à agir dans les champs hybrides ;
10) Une liberté d’action et une capacité à conduire des opérations militaires y compris de haute intensité en autonomie ou en coalition, dans tous les champs.