Du Kosovo à l’Ukraine : la guerre devant la justice

Par Patrice de Charette – Magistrat – Membre associé du Comité Aunis-Saintonge
Détaché au Kosovo le 5 février 2000, coordinateur des programmes à l’Institut judiciaire, puis juge international.

Cicéron disait : « Quand les armes parlent, le droit se tait ». Ceci n’est plus vrai, la justice peut désormais intervenir sur les crimes commis pendant les conflits armés :

  • Crimes de guerre : exactions commises contre les civils, pendant les conflits armés,
  • Crimes contre l’humanité : exactions commises de façon systématique et généralisée, dans le cadre d’un plan,
  • Génocide : destruction intentionnelle de tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux,

Qui peut juger ces crimes ?

  • Les tribunaux nationaux pour les crimes commis sur leur territoire
  • Les tribunaux étrangers dans le cadre de la compétence universelle 
  • Les cours mixtes, tribunaux nationaux dans lequel siègent des juges étrangers. Ces cours ont été créées au Kosovo en 2000 pour juger les Serbes accusés de crimes de guerre. Le modèle a été reproduit ensuite : chambres extraordinaires du Cambodge, pour juger les Khmers rouges, chambre spéciale du Sénégal pour juger le dictateur tchadien Hissene Habré, chambre spéciale de Centrafrique, en activité actuellement
  • Les tribunaux spéciaux, généralement créés par l’ONU : Nuremberg, tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie, tribunal pénal international pour le Rwanda, tribunal spécial pour le Liban
  • La cour pénale internationale, juridiction permanente, créée par le statut de Rome, traité international conclu en 1998. Elle n’est pas normalement compétente pour intervenir en Ukraine, puisque la Russie n’a pas signé le statut de Rome, mais une exception à celui-ci rend possible son intervention si l’Ukraine le demande, ce qui a été fait, et si des Etats signataires du statut de Rome le demandent également, ce qui a été le cas, puisque 41 États ont demandé l’intervention de la Cour.

La remontée de la chaîne de commandement pour les crimes de guerre commis en Ukraine sera compliquée. La Cour a choisi une autre voie en mettant Poutine en accusation pour déplacement forcé d’enfants, crime de guerre, avec mandat d’arrêt.

Sauf arrestation improbable de Poutine, celui-ci ne pourra pas cependant être jugé pour ce crime, car la procédure anglo-saxonne, en vigueur devant la CPI, ne permet pas le jugement par contumace 

Une seule solution pour juger directement Poutine : utiliser le crime d’agression (agression d’un État par un autre) en créant un tribunal spécial.
La création de ce tribunal est réclamée par de nombreuses autorités, notamment la Commission européenne. Le crime étant d’ores et déjà établi, le jugement serait facile et possible notamment par contumace, si le traité international qui crée ce tribunal le décide.
Le chemin sera long pour créer ce tribunal spécial. Il permettrait de consacrer judiciairement la responsabilité du chef d’État russe.

Beaucoup d’échanges après cette conférence :

  • Exécution des décisions ; crime de guerre définition de guerre ; crime d’agression 
  • De nombreuses questions sur le conflit Russo/Ukrainien

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Fonds documentaire.

Définitions [Nations Unies]

Génocide

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Article II – Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un 8quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

  • Meurtre de membres du groupe;
  • Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
  • Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
  • Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Crimes contre l’humanité

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Article 7 – Crimes contre l’humanité

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

  • Meurtre ;
  • Extermination ;
  • Réduction en esclavage ;
  • Déportation ou transfert forcé de population ;
  • Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
  • Torture ;
  • Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
  • Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
  • Disparitions forcées de personnes ;
  • Crime d’apartheid ;
  • Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Crimes de guerre

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Article 8 – Crimes de guerre

2. Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » :

  • Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève :
  • L’homicide intentionnel ;
  • La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
  • Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ;
  • La destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
  • Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d’une puissance ennemie ;
  • Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;
  • La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ;
  • La prise d’otages ; […]

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Portrait – Un juge acerbe

Patrice de Charette, 52 ans, magistrat. Chargé par l’ONU, sans moyens, de mettre sur pied une vraie justice au Kosovo.
par Marc Semo. Publié le 15 janvier 2003. Extrait :

[Patrice de Charette] fut pendant deux ans magistrat international au Kosovo. Il siégea même à la Cour suprême de cette province du sud de la Serbie, placée depuis juin 1999 sous protectorat de l’ONU.

Patrice de Charette arrive à Pristina en février 2000.
Avec ses lugubres immeubles socialistes bordant des avenues noyées, selon la saison, par la boue ou la poussière, la ville n’a rien d’un lieu de villégiature. « Des milliers de corneilles nichées dans les arbres et les décombres s’envolent tous les soirs au crépuscule avec un bruit d’enfer », écrit-il dans l’un de ses premiers e-mails.
Il fait froid et l’électricité est souvent coupée. « Elle fonctionnait par roulement, en tranche de quatre heures », raconte le magistrat, qui témoigne de son expérience, dans un livre drôle et quelque peu amer (1).
C’est un juge qui aime et sait écrire. Il a toujours été l’une des meilleures plumes du Syndicat de la magistrature. Il narre les interminables soirées à la lueur des bougies. Impossible de lire les bouquins ­beaucoup de polars et un peu de SF emportés depuis Paris.
Difficile de sortir aussi, car il répugne à déranger à nouveau les hommes d’escorte qui toute la journée ont travaillé à ses côtés.
C’est une vie plutôt solitaire dans une espèce de bulle blindée.

Défini pourtant comme prioritaire, le chantier de la justice au Kosovo est pour le moins laborieux.
Surtout au début. Quel code pénal appliquer ? Il a fallu près d’un an à l’ONU pour en décider.
Les procès s’enlisent. Les prisons sont des passoires. Réaliser une autopsie représente une gageure si le meurtre n’a pas eu lieu dans la capitale. « Les policiers internationaux ne voulaient pas salir les sièges de leur belle voiture avec le cadavre mais aucun budget n’était prévu pour payer les entreprises locales de pompes funèbres », raconte Patrice de Charette.
Les choses se sont depuis un peu améliorées mais le fonctionnement de la justice représente le principal fiasco de l’action de la communauté internationale dans cette ex-région autonome de l’ex-Yougoslavie. « En tant que juge on voit les choses au jour le jour dans toute leur crudité. Beaucoup d’énergie a été gaspillée pour des résultats en partie décevants », reconnaît le magistrat qui admet désormais ne plus avoir trop d’illusions sur la grosse machine de l’administration onusienne du Kosovo, la Minuk.
« C’est une leçon d’humilité pour la communauté internationale. Elle a privilégié le court terme alors que la justice représente la condition même d’une réconciliation durable entre les communautés », raconte le magistrat qui n’eut pas toujours des rapports faciles avec l’administrateur de l’ONU, Bernard Kouchner.

Sa tâche au début est de mettre sur pied la future école de la magistrature. En fait, il s’agit surtout de faire de la formation.
Dès l’instauration du protectorat de l’ONU, des centaines de nouveaux juges kosovars sont nommés.
Les Albanais sont pour la plupart d’anciens magistrats chassés en 1989, au moment de la reprise en main par Belgrade.
Pour les Serbes, il a fallu trouver des juristes pas trop compromis, mais presque tous boycottent les nouvelles institutions.
Le système patine. A peine protégés, les juges locaux gardent un profil très bas dans les affaires de crimes de guerre ou de mafia. En outre, ils sont mal payés. « Moins qu’une femme de ménage travaillant pour la Minuk », ironise Charette.
L’ONU décide finalement de les épauler sur les dossiers sensibles par des juges internationaux. Il se porte volontaire.
On l’envoie à Gjilan, grosse ville du sud-est, en secteur américain.

Son premier gros dossier est celui de deux frères serbes accusés d’avoir tué un ex-guérillero albanais qui, à la tête d’une petite foule, attaquait leur maison.
Croupissant en préventive depuis plusieurs mois, ils clament avoir agi en légitime défense.
Aucune autopsie n’a été effectuée sur la victime.
Une cassette vidéo de l’incident n’a même pas été visionnée. Finalement, il s’avère que les balles meurtrières ont été tirées par les soldats américains en dispersant la foule.
Il n’est pas évident non plus pour un juge de travailler sans cesse avec un traducteur. « On arrive quand même à sentir si sa déposition sonne juste », raconte Patrice de Charette, qui fut ensuite nommé à Pristina à la Cour suprême. […]

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Les Oiseaux noirs du Kosovo.
Un juge à Pristina

Patrice de Charente, nommé par l’ONU comme juge international au Kosovo, raconte l’extraordinaire expérience qu’il a vécue pendant deux ans dans ce territoire dévasté, en proie à des tensions ethniques meurtrières. Il décrit sans complaisance les errements de l’ONU et dit le combat quotidien pour la construction d’une justice démocratique.
© https://www.decitre.fr/livres/les-oiseaux-noirs-du-kosovo-9782841861798.html

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Kosovo : une expérience
de justice transitionnelle

Par  Anna Adamska-Gallant
– Dans Délibérée 2017/2 (N° 2), pages 70 à 76
– Éditions La Découverte