La sécurité énergétique des armées françaises

Source : Ifri – 28 avril 2016

En pleine Première Guerre mondiale, George Clémenceau jugeait déjà en 1917 :

« l’essence aussi nécessaire que le sang des batailles de demain ».

La sécurité de l’approvisionnement énergétique des forces armées, en particulier en carburants, est en effet une condition centrale du bon déroulement des opérations militaires. Elle conditionne la liberté d’action des forces engagées qui doivent à ce titre éviter toute rupture des flux tout en bénéficiant de produits pétroliers dont la qualité est avérée.

Un organisme central créé en 1945, le Service des Essences des Armées (SEA), est en charge de garantir cette sécurité énergétique des armées françaises (1) : il gère toute la chaîne de l’approvisionnement pétrolier du ministère de la Défense, depuis l’acquisition de produits pétroliers et leur homologation à leur distribution (2) en passant par la construction des infrastructures pétrolières.

Dans cette étude publiée par le Laboratoire de recherche sur la défense de l’Ifri, Paul Kaeser, ingénieur militaire au sein du SEA, rappelle les missions dont est investi cet organisme en pointant ses forces et ses vulnérabilités ainsi que les nouveaux défis auxquels il est aujourd’hui confronté, dans un contexte de « transition énergétique ». Il étudie les pistes pour « renouveler » la sécurité énergétique des armées françaises qu’il définit comme la « capacité à assurer en tout temps et en tous lieux l’alimentation en énergie des installations militaires et des systèmes d’armes déployés, même en cas de rupture des flux externalisés ».

Fort d’un effectif d’environ 2 100 personnes, le SEA dispose entre autres d’une quarantaine de dépôts pétroliers en France, d’environ 400 camions de transport et de 140 wagons-réservoirs.

En 2014, environ un quart des carburants qu’il a distribués l’ont été sur le terrain d’opérations extérieures (OPEX). Les ruptures de flux pétroliers y constituent une difficulté récurrente. Le SEA recherche une redondance de ces flux d’approvisionnement afin de garantir la sécurité énergétique des forces engagées (nécessité opérationnelle en contradiction avec l’optimisation financière) et s’appuie sur les fournisseurs pétroliers locaux lorsque cela est possible (3).

Ce Service peut soutenir des forces dès leur entrée sur une zone d’intervention en déployant immédiatement une chaîne d’approvisionnement pétrolier. Les détachements de soutien pétrolier varient fortement, d’un seul militaire jusqu’à plus de 100 personnes comme lors du début de l’opération « Serval » au Mali en 2013.

Le SEA bénéficie d’une expertise technique reconnue (4) mais son autonomie a eu pour effet de partiellement « décharger » le commandement des armées de la préoccupation de la sécurité énergétique. Paul Kaeser s’interroge ainsi sur les moyens d’une meilleure prise en compte de cette problématique au niveau stratégique. Il analyse enfin les conditions pour faire émerger des forces moins énergivores (malgré les spécificités militaires limitant parfois les économies d’énergie) (5) et plus généralement une nouvelle gouvernance de « l’énergie de Défense ». 

Sources / Notes

  1. A l’origine, le SEA était en charge de ravitailler toutes les forces militaires terrestres de la France. Il a par la suite également été chargé du soutien pétrolier des bases aériennes (en 1960) et de la flotte de la Marine (en 2010).
  2. Sauf certaines exceptions : stations-services militaires des bases de Défense (gérées par le service du commissariat des armées), ravitaillements en vol ou sur porte-aéronefs, etc.
  3. L’essence F-18 nécessaire aux drones Harfang doit par exemple souvent être acheminée directement depuis la raffinerie de la Mède en Provence.
  4. L’ensemble des ingénieurs militaires du SEA ont suivi un an de formation au sein de l’IFP School.
  5. La notion de sobriété énergétique est plus ou moins bien intégrée au sein des différentes armées : elle est essentielle dans la Marine ou pour les pilotes d’astronefs disposant de ressources limitées mais l’armée de Terre est encore fortement imprégnée « d’un vieux principe selon lequel l’intendance suivra », indique Paul Kaeser.

© Paul Kaeser, « La sécurité énergétique des armées françaises. Le soutien pétrolier à l’heure de la transition », Focus stratégique, n° 66, mars 2016.

Traitement de la radicalisation en gendarmerie

Le comité de la Vienne (86) vous invite à participer à la conférence « Traitement de la radicalisation en gendarmerie ».

  • Le mercredi 11 septembre 2019 à 18 heures
  • à la caserne de gendarmerie : 8 rue Logerot – Poitiers
  • Intervention du Colonel Yves DUMEZ, commandant adjoint de région, commandant le GGD86

Afin de vous documenter avant la conférence, deux documents à consulter :

  • Prévention de la radicalisation et traitement judiciaire du terrorisme (ÉNM)
  • Les missions du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation face aux phénomènes de radicalisation (ÉNAP)

Conférence proposée par Marc FIARD

À quoi ça sert, la philosophie ?

Le Journal de la Philo par Géraldine Mosna-Savoye

L’amour, le mal, la mort, la justice, la joie, la morale… : les philosophes ont pris la parole et la plume sur tout. Mais de leur propre discipline, qu’en ont-ils dit ? Comment la voient-ils ? À quoi leur sert la philosophie ?

L’anthologie Le goût de la philosophie tente de répondre à toutes ces questions, à paraître aux éditions Mercure de France.

La philosophie, ça sert … 

À quoi sert la philosophie ? Si cette question était d’actualité en 1980, 39 ans plus tard, en pleine réforme du lycée et de l’enseignement, dont celui de la philosophie, elle l’est encore. Et le mieux, pour y répondre, est encore de se tourner vers les principaux intéressés : les philosophes, “ces gens un peu bizarres au langage si particulier” comme le dit Bernard Pivot… Et c’est bien ce qu’on trouve dans cette anthologie Le goût de la philosophie. 

Qu’est-ce que la philosophie pour Aristote ? Comment en faire selon Sénèque ? Qu’est-ce que vivre sans philosophie, selon Descartes ? À quoi ressemble le fait de philosopher selon Bergson ? Ou encore qu’est-ce que Rousseau a apporté à Kant et Simone Weil à Albert Camus ? 

Ce sont quelques-uns des textes que vous pouvez y découvrir, vous saurez ainsi que la philosophie commence par l’étonnement, qu’il faut s’y consacrer complètement, que ne pas philosopher, c’est avoir les yeux fermés, mais que le faire est un acte simple, et qu’enfin, Rousseau permet d’être sur le droit chemin et que la solitude de Simone Weil n’était pas sans espoir… Je vous laisse attribuer à chaque auteur ces réflexions…

Mais cela suffit-il à dire à quoi sert la philosophie ? C’est le premier problème, et c’est Jankélévitch qui l’avait soulevé, justement dans cette émission de 1980, voici ce qu’il répondait à la question posée : 

… à rien ! …

La philosophie, ça ne sert à rien… On pourrait y voir une réponse de philosophe, qui déconstruit la question pour ne pas y répondre. Et c’est vrai que cette réponse est séduisante, que l’on est tenté de le croire : je ne lis pas un livre de philosophie pour penser, je n’écoute pas tel penseur pour avoir une idée ou pour réussir une réflexion, comme je me servirais d’un mixeur pour réussir ma purée. 

Et pourtant, force est de reconnaître que beaucoup des textes de cette anthologie révèlent une utilité de la philosophie : pour Marc Aurèle, seule la philosophie permet de nous guider au milieu des écueils de l’existence ; pour Voltaire, elle est un remède au fanatisme ; ou pour Sartre et Beauvoir, elle est ce qui nous dévoile le monde et permet d’y cheminer. Plus intéressant, encore, Rousseau pour qui la philosophie est comme un magasin d’idées, comme si pour le coup elle nous permettait de réussir à penser, à s’instruire.

Dans la suite de l’entretien avec Pivot, Jankélévitch dit que la philosophie ne sert à rien, mais qu’elle suppose en revanche une pratique : elle se fait, plutôt qu’elle ne se dit. Si elle a donc bien une utilité, sans relever pour autant de l’utilitarisme, de l’instrument pur, c’est parce qu’elle se pratique, elle ne sert pas à obtenir un bien précis, mais à quelque chose de beaucoup plus fondamental pour soi et d’en même temps très quotidien : la critique… 

… mais ça se pratique. 

Philosopher ne sert à rien, mais ça se fait et ça se pratique, de fait, tout le temps, même quand on le conteste.
Ainsi, ce n’est pas l’acte de philosopher qui doit être questionné, en se demandant à quoi il sert, mais plutôt l’existence de ces textes mêmes qui font parler la philosophie et en montrent l’utilité.
À quoi ça sert de parler de philosophie quand on est philosophe ? N’est-on pas déjà convaincu de sa nécessité ? Qui cherche-t-on à convaincre ? C’est une autre question… tout aussi utile. 

Tous les extraits sont issus de l’émission Apostrophes, Antenne 2, 1980

Jeu mathématique

Jeu mathématique : quel est le poids du bouchon ? Par Hervé LEHNING, Normalien et agrégé de mathématiques.

Derrière une énigme mathématique se cache souvent une question mathématique plus ou moins profonde, la question posée en étant un habillage. Il en va ainsi des équations du premier degré.

Question N° 1 – Un père a 30 ans de plus que son fils, à eux deux ils ont 36 ans, quel est l’âge du fils ?

Question N° 2 – Avec son bouchon, une bouteille pèse 110 grammes. La bouteille pèse 100 grammes de plus que le bouchon. Quel est le poids du bouchon ?

Ces problèmes font des ravages, ils semblent si simples qu’on en oublie de réfléchir : on se piège soi-même et on répond faux … 

Éléments de réponse :

  • La réponse n° 1 concernant l’âge du fils n’est pas six ans.
  • De même, la réponse n° 2 concernant le poids du bouchon n’est pas 10 grammes, sinon la bouteille pèserait 100 grammes de plus, soit 110 grammes et la bouteille bouchée 120 grammes. 

On peut trouver ce résultat directement par l’algèbre.

  • En notant x le poids du bouchon et y celui de la bouteille, on a donc y = 100 + x. Celui de la bouteille bouchée : (x + y) = x + (100 + x) = 100 + 2 x = 110, ce qui fournit « x ».
  • La même équation permet de résoudre les deux problèmes et bien d’autres.

En fait, nos deux énigmes sont un habillage d’une même question mathématique concernant les équations du premier degré.

Utilisez le champ commentaire pour proposer vos réponses.

Organiser une opération militaire pour les nuls

Par Michel GOYA.

Alors jeune sergent, j’ai été appelé un jour avec mes camarades chefs de groupe de combat d’infanterie par mon chef. Le discours fut bref :

  • Qu’est-ce que vous glandez ?
  • On attend vos ordres, mon adjudant !
  • Je ne donne pas d’ordres mais des missions à remplir, et quand je n’en donne pas, il y en a une qui s’applique automatiquement : maintenir et si possible renforcer vos compétences et celle de vos hommes.
  • Donc si je ne dis rien, je dois vous voir en train de courir, ramper, manœuvrer, tirer, nettoyer vos armes, apprendre des trucs.
  • Dès que j’ai une mission à vous donner, en général parce qu’en j’ai reçu une moi-même, tout s’arrête et on bascule sur un objectif plus précis à atteindre.

Le voile s’est alors déchiré devant mes yeux novices.

La suite de cet article en ligne : https://lavoiedelepee.blogspot.com/2019/08/organiser-une-operation-militaire-pour.html?m=1

Stéphane MARCIREAU, le philosophe

Stéphane Marcireau, le philosophe joueur derrière Philodéfi

Par Denis Peiron, La Croix, le 29/08/2019 à 11:53 

Le savoir en partage (4/5). Ce professeur de Poitiers a créé un jeu pour aider les élèves à apprendre la philosophie en tirant profit des intelligences multiples. Une démarche ludique couronnée de succès.

Stéphane Marcireau, professeur de philosophie, photographié dans son lycée, L’Union Chrétienne, à Poitiers (Vienne) le 9 juillet 2019. Il a crée « Philodéfi » jeux de cartes pour apprendre la philosophie en s’amusant. Photos Claude Pauquet pour La Croix.

Quand il a commencé à enseigner la philosophie, il y a un petit quart de siècle, Stéphane Marcireau se préoccupait avant tout de gérer son planning, de boucler son programme. Dans son lycée catholique du centre-ville de Poitiers, il pouvait encore se permettre de donner des cours à l’ancienne, dans une logique de transmission verticale, de maître à élève. Mais les ans ont passé et la jeunesse a changé. Les aspirations ont évolué. Et surtout, à l’heure de l’instantanéité numérique, les capacités de concentration ne sont plus ce qu’elles étaient.

Comment relever le défi ? Il y a quelques années, Stéphane Marcireau s’est souvenu d’une séance durant laquelle, se promenant entre les rangs tout en dictant son cours, il avait découvert les dessins que faisait Louise, l’une de ses meilleures élèves, en marge de ses notes :

Elle avait représenté l’animal-machine cher à René Descartes. Sur sa feuille, on apercevait le philosophe en train de soulever la peau de son cheval, dont on découvrait alors la mécanique. En quelques traits, elle avait résumé cette théorie cartésienne pour mieux la fixer dans son esprit : l’animal n’est qu’une machine, avec des tuyaux, des ressorts.

Nota. Stéphane MARCIREAU est auditeur de l’IHEDN.

Général Alain BOULLET

Le mercredi 28 août 2019, Paul MORIN a représenté Bernadette GRIGNON à la cérémonie de départ du général ALVAREZ et à la prise de commandement du général de brigade aérienne Alain BOULLET, promu à la tête des écoles de Rochefort et commandant de la BA 721.

Le général Manuel-Feliciano ALVAREZ, rejoint la DRHAA comme n°2.

Le général BOULLET est également commandant de la base de défense Rochefort-Cognac et délégué militaire départemental de la Charente-Maritime.

À cette occasion, Paul MORIN a pu établir un contact avec le nouveau chef de cabinet du général et solliciter un rendez-vous pour préparer les lundis de l’IHEDN.

Sans prise en compte de l’histoire, la guerre du Sahel ne pourra pas être gagnée

Lundi 19 août 2019, une nouvelle et importante attaque des GAT (Groupes armés terroristes) menée dans le nord du Burkina Faso, a fait des dizaines de morts, de blessés et de disparus dans les rangs de l’armée burkinabé.

Pourquoi, six ans après la chevauchée de Serval, un conflit au départ localisé au seul nord-est du Mali, limité à une fraction touareg et dont la solution passait par la satisfaction de revendications politiques légitimes, s’est-il transformé en un embrasement régional paraissant échapper à tout contrôle ? 

La réponse tient en deux points : 

1) En 2013, pour obtenir une victoire totale, il eut fallu conditionner la progression de Serval et la reconquête des villes du nord du Mali à des concessions politiques du pouvoir de Bamako. Les décideurs français ne l’ont pas voulu. 

2) Ceux qui ont défini la stratégie française dans la BSS (Bande sahélo saharienne) ont choisi les nuées contre le réel, à savoir l’illusion de la démocratie et le mirage du développement.

Or, en Afrique, comme démocratie = ethno-mathématique, les ethnies les plus nombreuses remportent automatiquement les élections. Conséquence, au lieu d’éteindre les foyers primaires des incendies, les scrutins les ravivent ou les maintiennent en activité.

Quant au développement, tout a déjà été tenté en la matière depuis les indépendances. En vain. D’ailleurs, comment les politiques, les médias et les « experts », peuvent-ils encore oser parler de développement, alors qu’ils savent que la suicidaire démographie africaine en vitrifie par avance toute éventualité ? 

Dans l’état actuel de la situation sécuritaire dans la BSS, le retour au réel est plus que jamais une urgence afin d’identifier les causes profondes de la conflictualité à laquelle nos Forces sont confrontées. Elles ont en effet un besoin vital de cette lisibilité que seule la connaissance du passé permet d’obtenir.L’histoire régionale nous apprend ainsi que les actuels conflits ne sont pas une nouveauté. Résurgences de ceux d’hier, ils s’inscrivent dans une longue chaîne d’évènements expliquant les antagonismes ou les solidarités d’aujourd’hui. 

Quelques exemples :

1) A l’ouest du lac Tchad, à partir du Xe siècle et durant plus d’un demi-millénaire, se succédèrent royaumes et empires (Ghana, Mali et Songhay). Tous contrôlaient les voies méridionales d’un commerce transsaharien articulé et même ancré sur des villes-marchés mettant en contact le monde soudanien et le monde méditerranéen. Quand ils étaient forts, ils se faisaient respecter par les éleveurs nomades, leur interdisant de razzier les agriculteurs sédentaires. 

2) Après la destruction de l’empire Songhay par le Maroc en 1591, à l’exception des Bambara au nord et des Mossi au sud, les peuples sédentaires de la région ne constituèrent plus de véritables États. Tant chez les Songhay que chez les Djerma, la vie en société ne fut plus dès-lors organisée qu’autour de villages ou de regroupements de villages incapables de se défendre contre la razzia nomade. 

3) A la fin du XVIIIe siècle et durant le XIXe, les populations sédentaires de l’ouest du Sahel subirent l’expansion des nomades Peul, mouvement dévastateur qui se fit avec l’alibi de la religion. Trois jihad peul ou apparentés bouleversèrent alors la marqueterie ethno-politique régionale. Celui d’Ousmane (Othman) dan Fodio se fit en pays Haoussa, celui de Seku Ahmadou au Macina et celui d’El-Hadj Omar en pays bambara. Du haut Sénégal à la région tchado-nigeriane, ce ne fut alors que désolation, pillage, massacre et mise en esclavage. 

4) Aujourd’hui, dans tout l’ouest africain, ces terribles épisodes sont encore très présents dans les esprits. Leur souvenir constitue le non-dit, et souvent même le véritable soubassement des actuels affrontements ethniques baptisés « communautaires » par idéologie, « pruderie » ou « prudence »… Or, en ne nommant pas les choses, l’on en perd le sens.

En effet, pour les Peul et pour ceux qui se réclament de la « peulitude », Ousmane (Othman) dan Fodio, Seku Ahmadou et El Hadj Omar sont des héros. Les Bambara, Dogon, Mossi, Djerma, Songhay et autres, les voient tout au contraire comme des conquérants esclavagistes cruels et sanguinaires dont l’impérialisme pillard était camouflé derrière un pseudo-justificatif religieux.

Voilà défini l’arrière-plan des actuels conflits du Macina et du Liptako amplifiés par la surpopulation et la péjoration climatique. Refuser de le voir ou considérer cela comme « anecdotique » va, tôt ou tard, conduire à de nouvelles « désillusions » et, hélas, à de nouvelles pertes cruelles. 

5) Avant la colonisation, accrochés à la terre qu’ils cultivaient, les sédentaires du fleuve et de ses régions exondées étaient pris dans la tenaille prédatrice des Touareg au nord et des Peul au sud. Pour survivre, ils constituèrent alors de complexes réseaux d’alliances ou de solidarités. Ayant traversé le temps, ils permettent d’expliquer pourquoi certaines « communautés » se rangent aujourd’hui du côté des GAT, quand d’autres les combattent.

Ainsi, comme les raids des Touareg s’exerçaient depuis le désert au nord du fleuve Niger et ceux des Peul à partir des trois émirats du Dallol, du Liptako et du Gwando, afin d’être épargnés, les sédentaires devinrent les tributaires des premiers ou des seconds :
– À l’ouest, les Songhay choisirent d’être ceux des Touareg, lesquels, en échange, protégeaient leurs villages des attaques des Peul. Entre Gao et Ménaka, au fil du temps, certains des tributaires songhay s’assimilèrent quasiment à leurs protecteurs Touareg. Les Imghad le firent ainsi aux Touareg Ifora et les Daoussak aux Touareg Ouelleminden Kel Ataram. Comme la rive nord leur était tributaire, c’était donc sur la rive sud du Niger que les Touareg menaient leurs razzia, avec pour alliés les piroguiers-pêcheurs Kourtey (Kourteis) vivant entre Ayorou et Say.
– Plus à l’est, toujours sur la rive nord du fleuve Niger, les Djerma étaient dans la même situation que leurs voisins songhay mais, en fonction de la localisation géographique des prédateurs nomades, ils choisirent deux systèmes différents de protection. C’est ainsi que les Djerma du sud devinrent tributaires des Peul pour être protégés des Touareg, alors que ceux du nord demandèrent à ces derniers de les défendre contre les Peul. 

6) A la fin du XIXe siècle, l’armée française bloqua l’expansion des entités prédatrices nomades dont l’écroulement se fit dans l’allégresse des sédentaires qu’elles exploitaient, dont elles massacraient les hommes et vendaient les femmes et les enfants aux esclavagistes du monde arabo-musulman. 

7) La colonisation fut donc en quelque sorte la revanche offerte par la France aux vaincus de la longue histoire africaine. Cependant, dans tout le Sahel occidental, elle eut deux conséquences contradictoires :
– Elle libéra les sédentaires de la prédation nomade, mais, en même temps, elle rassembla razzieurs et razziés dans les limites administratives de l’AOF (Afrique occidentale française).
– Or, avec les indépendances, les délimitations administratives internes à ce vaste ensemble devinrent des frontières d’États à l’intérieur desquelles, comme ils étaient les plus nombreux, les sédentaires l’emportèrent politiquement sur les nomades, selon les lois immuables de l’ethno-mathématique électorale. 

Voilà identifié le terreau des conflits allumés depuis une ou deux décennies par des trafiquants de toutes sortes et des islamo-jihadistes immiscés avec opportunisme dans le jeu ethno-politique local et régional. L’ignorer ou le minorer conduit à la superficialité des analyses, à l’inadaptation des décisions et en définitive, à l’impasse actuelle.

Avec des moyens dérisoires à l’échelle du théâtre d’opérations, Barkhane, qui n’est que de passage, n’est évidemment pas en mesure de refermer des plaies ethno-raciales ouvertes depuis la nuit des temps.

Une bonne connaissance du milieu et des hommes pourrait cependant lui permettre d’éviter leur surinfection. Ces points sont développés et illustrés de nombreuses cartes dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours et dans mon cours vidéo intitulé « Comprendre le conflit au Sahel »
Bernard Lugan