Retour sur le poison intellectuel français

Par François TORRESGénéral (2s)

Le pamphlet de Michel Onfray récemment transmis par Jean-Pierre Soyard rappelle que nos élites progressistes sont atteintes d’un poison frisant la perte de l’instinct de survie. En le lisant m’est venue l’idée de revisiter les racines des toxines intellectuelles qui nous hantent depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.

Ce qui suit est un modeste appel à la vigilance et au bon sens. Passant en revue les arguments et les armes de la résistance aux complaintes moralisatrices des « pleureuses », il incite à « ne rien lâcher ».

La maladie de la pensée occidentale prend sa source, entre autres, dans les théories de la « déconstruction » du philosophe nazi allemand Heidegger.

Elles furent le prêt à penser depuis les années 60 d’une nébuleuse proto-intellectuelle englobant les « bobos » soixante-huitards, les « pédagogistes » de l’éducation nationale, les « relativistes » moralisateurs de l’École des Hautes Etudes des sciences sociales de la Rue d’Ulm et de Sciences Po, les adeptes de la repentance, et les défenseurs dogmatiques des minorités face à la majorité.

Mais la liste n’est pas close – on pourrait y rajouter ceux des enseignants qui à l’école font, par démagogie, croire à leurs élèves que le « rapp » peut être placé au même niveau que le « Triple Concerto » de Beethoven ou les symphonies de Tchaïkovski et que les onomatopées hocquetantes des « gentils rappeurs » dont les textes sont assez souvent des insultes contre la France, sont tout à fait aussi estimables que « Casta Diva » chanté par La Callas.

Tout ce beau monde mettait et ment encore en œuvre les « vertus chrétiennes devenues folles » pour qui le héros est toujours l’autre, le démuni, le migrant, le sans-logis, le colonisé, le noir, l’infirme, le métis etc….En revanche dans ce monde entré en mouvement où, comme dit Bellamy, le « flux prend la place de l’être », le coupable est le sédentaire attaché à sa terre, le conservateur soucieux de préserver la longue culture qui le porte, son histoire, bonne ou mauvaise, ses traditions et ses racines.

Née en Allemagne après la guerre dans la tête d’un philosophe prolixe et difficile à lire qui, pour se dédouaner de ses très honteux errements nazis, imagina d’en attribuer la responsabilité non pas à lui-même, mais à la « toxicité » de la civilisation occidentale. A cet effet il s’est appliquée à analyser – « déconstruire » – ses fondements pour mettre à jour ses « vices » s’exonérant ainsi de la responsabilité personnelle d’avoir cautionné – un comble pour philosophe – une des plus grands crimes de l’histoire des hommes.

Sa pensée « déconstructrice » a ainsi irrigué en France la pensée de Deleuze, Foucault, Derrida. Exportée aux États-Unis dans les années 50 sous le nom de « French Theory » elle fut, après les deux explosions nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, à l’origine du « nihilo-mondialisme » américain, à la source de la « Beat Generation » (« Beat », dans le sens de « abattu », « épuisé »…).

Considérant que l’existence humaine est vide de sens, la pensée qui prône la destruction suicidaire de la civilisation et de la morale, s’est, par un étonnant retour de l’histoire, invitée chez nous en 1968, se parant du manteau festif et trompeur de la révolution permanente.

Pour tenter de comprendre le lien entre le poison intellectuel français et la « déconstruction » de Heidegger et de ses disciples français, un bref retour sur la pensée de Deleuze, Foucault et Derrida pourrait être utile. J’emprunte ce qui suit à Yannick Jaffré, anthropologue, spécialiste de l’Afrique de l’ouest, directeur de recherche au CNRS à l’Unité environnement, santé, société.

La pensée de Deleuze porte la pensée préférentielle du « flux », du « nomadisme et de la déterritorialisation ». Elle se retrouve aujourd’hui dans la « financiarisation apatride » et dans l’esprit de nos jeunes français des banlieues rejetant l’enracinement aux valeurs de la République. Son relativisme de la non appartenance « dissout l’identité et avec elle la souveraineté politique. » (…) « Sa pensée offre l’aspect d’une sorte d’anarcho-naturalisme artiste qui, par constitution, supporte très mal l’épreuve historique. Ne comprenant l’histoire européenne qu’à travers ses grandes œuvres culturelles, il l’ignore superbement comme destin civilisationnel. Pour ceux qui font de ce destin leur combat, Deleuze n’offre que des armes piégées. »

Foucault fut le théoricien brillant et adulé de la défense sociale des « marges », y compris « des déments, des criminels et des parricides » en même temps que le contempteur des États et des institutions qui en émanent. Ses attaques contre la société hiérarchisée, appuyée par sa « répugnance de l’État » utilisait toutes les armes possibles porteuses de chaos ou de remise en question, « depuis le maoïsme jusqu’aux droits de l’homme en passant par la révolution iranienne ».

Quant à Derrida qui se place clairement dans le sillage de Heidegger, il fut le « déconstructeur » de la pensée logique d’Aristote « passant avec acharnement au rouleau compresseur ses critères d’analyse » en démontant consciencieusement, mais sans les remplacer par rien, les 4 cause d’Aristote – « Cause matérielle » (De quoi s’agit-il ?) , « Cause formelle » (Quelle en est la forme ?) , « Cause efficiente » (Quel en est le moteur ?) et « Cause finale » (Quel en est le but ou l’objet ?) – qui sont pourtant l’armature de toute notre construction intellectuelle depuis les Grecs.

Ne nous étonnons pas qu’avec de tels « maîtres » l’école et ses professeurs déboussolés aient sacrifié des générations de jeunes, en considérant que l’apprentissage des dates, les exercices de grammaire, les conjugaisons ou le calcul mental étaient des réminiscences oppressantes d’une domination de classe.

Enfin tous les 4, apôtres infatigables de la déconstruction et ennemis de toute forme d’autorité qui furent leur fond de commerce rebelle, « méprisèrent l’État et la Nation ». En détruisant à la fois la pensée logique et les structures institutionnelle et culturelles qui portent la pensée occidentale, ils ont dit Yannick Jaffré, « intellectuellement émasculé la capacité politique des peuples ».

Comme la réalité se construit du « battement des contraires », celle-ci, attisée par les risques pesant sur nous, revient en force par la virulence des mouvements cherchant à ressourcer par l’histoire l’identité de l’Occident.

2 réflexions sur « Retour sur le poison intellectuel français »

  1. Bonjour à tous,
    Je rebondis sur les récents messages transférés par tel ou tel.
    Je n’ai pas l’habitude d’entrer dans des polémiques inutiles, ni juger les partis pris partisans, mais je souhaite qu’on ne m’assène plus des messages pétris de vérités toutes faites et de leçons de morale.
    Il n’y a aucune arrogance dans mon propos, je ne suis pas victime de la pensée unique mais je considère qu’il n’y a pas non plus de monopole de l’intelligence.
    Je demande aux pourvoyeurs d’articles en tout genre de m’enlever de leurs listes de diffusion ou de se contenter de ne transmettre que des informations en relation directe avec l’objet de notre association.
    Le dernier message sur le “poison intellectuel français”, au-delà des idées des uns ou des autres que je respecte même si je ne les partage pas, me renvoie immanquablement vers une logique ethnocentrée, que pour le coup, je combats.
    Au passage, toutes les formes d’art ou d’expressions artistiques naissantes ont déclenché les cris d’orfraie des garants de l’ordre établi, érigeant en sanctuaire inviolable les “normes” de la culture et de l’art.
    L’arrivée de l’opéra en France, sorte de déviation italienne, a profondément heurté les tenants du ballet de cour au XVI° siècle, alors pourquoi vouloir l’opposer aujourd’hui au rap (avec un seul P, n’en déplaise aux nostalgiques du 1er empire) ?
    Non, je ne suis pas “fan” de cette forme d’expression, mais je pense que vouloir réduire un mouvement, quel qu’il soit, à l’expression de ses extrêmes me semble réducteur, peu évocateur d’une ouverture d’esprit à un monde en mouvement.
    Pensant avoir été suffisamment clair, je ne rédigerai pas d’autres billets d’humeur.
    Je vous souhaite une très agréable journée.
    Philippe Mathieu

  2. Sans ouvrir aucune polémique, ce qui suit ne se voulant pas être une Heideggerodicée, juste une réflexion sur l’insoutenable complexité de la causalité du « poison intellectuel français »…

    Tout d’abord, la véritable cause de la « folie » des vertus chrétiennes ne tient-elle pas à leur dérive, à l’excès d’une charité chrétienne devenue le laxisme d’une tolérance qui se perd dans l’absence de ses propres limites et qui ne sait pas « rendre à César ce qui est à César », c’est-à-dire distinguer la morale et la politique ?

    Par ailleurs, je ne suis pas sûre du tout qu’il faille attribuer une quelconque paternité au seul Heidegger, voire même à lui comme philosophe disciple de Husserl, lequel l’a profondément influencé par les concepts fondamentaux de la phénoménologie.  La perversion des philosophes « déconstructivistes » : Foucault, Derrida, Deleuze s’inscrit bien plutôt dans la ligne contestataire de Marx, Freud et Nietzsche qui sont largement plus (si ce n’est même les principaux) responsables sans être pour autant « coupables »…

    « Les vies privées sont rarement belles » disait Georges Steiner permettant ainsi de distinguer la valeur d’une œuvre de la vie de son auteur. Pourquoi imputer à Heidegger, en conséquence de sa collaboration avec le nazisme, plutôt qu’à Nietzsche qui philosophait à coups de marteau, la responsabilité d’un déconstructivisme mortifère des valeurs de l’Occident ?

    Le mal est lointain : il est déjà lové dans le désir de la raison de savoir, passion métaphysique qui a conduit au déclin des absolus dont « la mort de Dieu » (Nietzsche) précédée par la mort de l’Art (Hegel), et de la métaphysique comme science (l’idéalisme critique de Kant). Et Heidegger a eu d’autres influences : Hannah Arendt en témoigne.

    La question ultime est plutôt de savoir si l’Histoire de la philosophie qui est celle de la Raison en Occident ne pouvait pas ne pas sombrer dans le vide de la pensée : tout ce qui naît est destiné à périr, constatait déjà Platon, relayé par Paul Valéry constatant « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » (« La Crise de l’Esprit »).

    En effet, le Siècle dit des Lumières n’a-t-il pas été celui d’un rationalisme œuvrant à l’avènement d’un socialisme post-révolutionnaire devenu le terreau de Droits de l’Homme dévoyés dans leur principe générique d’obligation, de devoir devenu désormais un « gros » mot honni de la masse ? D’autre part le progrès médical, en particulier, n’est-il pas incapable de se contrôler pour ne pas œuvrer à une démographie devenue un véritable bouillon de culture menaçant l’équilibre, si ce n’est même la vie de l’espèce humaine, et reniant Rabelais en perdant sa conscience au profit de son ambition ?

    Je ne pense pas que Heidegger soit le père de la dégradation du monde actuel : comme Copernic était « l’un des derniers parmi les Anciens plutôt que le premier des Modernes », « dernier humaniste nourri de culture renaissante » en voie de disparition, dixit Georges Gusdorf (Article sur la révolution galiléenne in Encyclopédie Universalis), Heidegger est, lui aussi, plutôt l’un des derniers philosophes d’une tradition perdue dans un monde que le progrès de la technoscience (néologisme de Gilbert Hottois) a introduit dans la quatrième dimension d’une nouvelle mutation culturelle.

    Bref, il n’y a pas qu’un responsable : comme dans toute situation de crash, « la maladie de la pensée occidentale » résulte de l’interférence de séries causales indépendantes (pour reprendre la définition du hasard par Cournot), qui intègrent aussi la responsabilité d’un libre arbitre collectif…

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