IHEDN Plan stratégique 2020

Un institut plus ouvert, au centre d’une communauté IHEDN au service de l’esprit de défense
et du renforcement de la cohésion nationale

AVANT-PROPOS

1936-2016 : l’IHEDN célèbre cette année 80 ans d’existence.

Fondé par l’amiral Castex afin de former les cadres militaires et civils à la préparation et à la conduite de la guerre, l’IHEDN s’est régulièrement adapté. Dans un contexte stratégique profondément renouvelé – plus complexe aussi –, ses auditeurs sont amenés à réfléchir à l’interaction entre questions de défense et de sécurité dans les champs de la politique intérieure et étrangère de notre pays, de l’armement et de l’économie de défense. Il s’agit pour eux de discerner les menaces auxquelles nous sommes confrontés et de contribuer par leurs travaux à concevoir des éléments de réponse adaptés.

Une telle réflexion se nourrit de la diversité, celle des opinions et celle des origines socioprofessionnelles, puisque la mission de l’institut est de faire dialoguer des responsables de haut niveau, civils et militaires, Français ou étrangers, membres de la fonction publique comme des différents secteurs d’activité de la Nation. C’est pourquoi l’IHEDN doit en permanence chercher à s’ouvrir à de nouveaux publics et se placer dans une approche interministérielle des questions, qui justifie d’ailleurs la décision du Premier ministre d’en confier la tutelle au SGDSN.

Le plan stratégique de l’institut, adopté par le Conseil d’administration du 18 novembre 2015, poursuit ce but à travers trois nouvelles priorités :

  • la recherche d’une plus grande ouverture,
  • la volonté de renforcer la communauté IHEDN
  • et l’ambition d’améliorer la transmission des connaissances.

Dans un contexte de multiplication des offres concurrentes et de réduction des coûts, il prend également acte de l’importance du rapprochement entrepris avec des partenaires naturels comme l’INHESJ, de même que de la nécessité de renforcer les synergies avec le monde académique et de la recherche.

Ce plan fixe les objectifs stratégiques de l’IHEDN à l’horizon 2020 dont la vocation reste bien de diffuser l’esprit de défense parmi nos concitoyens.

Louis Gautier – Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale

Analyse d’un général français

Analyse d’un général français sur les frappes houthies conduites sur les installations pétrolières de l’Arabie saoudite.

À l’annonce des frappes revendiquées par les Houthis et aux diverses questions qu’elles suscitent, je réponds ceci :

Je n’ai aucune raison de mettre en doute la revendication houthie pour les raisons suivantes :

– C’est une action en légitime défense parfaitement compréhensible.

Les territoires tenus par les Houthis sont bombardés quotidiennement depuis près de quatre ans par la coalition initiée et conduite par l’Arabie saoudite sous l’égide des États-Unis et d’Israël et de leurs vassaux occidentaux (France et Royaume-Uni). Face à cette agression, les Houthis, incontestablement soutenus par l’Iran, ont résisté comme ils ont pu, puis se sont organisés.

Ils mènent depuis deux ans des attaques aux drones contre le territoire de leur adversaire principal. Ces attaques à l’intérieur du territoire saoudien sont devenues, au fil du temps, plus précises, plus puissantes, plus fréquentes, plus profondes. Elles sont conduites en « légitime défense » dans le seul but de faire cesser l’agression saoudienne et l’ingérence de la « coalition occidentale » qui, toutes deux, sont meurtrières pour la population yéménite, et illégales car non approuvées par l’ONU. Des frappes houthies au cœur de l’Arabie saoudite ne sont donc pas nouvelles. Elles ont toujours été annoncées avant (sans préciser l’objectif) et revendiquées après.

– Accuser l’Iran est d’une stupidité sans nom. Pourquoi l’Iran mènerait-il une attaque illégitime, voire suicidaire à partir de son sol, alors que leur allié houthi peut le faire, en légitime défense, à partir du territoire yéménite ?

En outre, tous les mouvements d’objets volants sont suivis avec précision, surtout au Moyen-Orient, tant par les Occidentaux que par les Russes qui disposent des moyens les plus sophistiqués pour le faire (radars, satellites). Je ne parle évidemment pas des Saoudiens qui disposent de tous ces moyens de protection anti-aériens de fabrication US mais qui ne savent peut être pas s’en servir…. Bien sûr, l’Iran a aidé les Houthis à construire leurs drones (ingénieurs, technologies). Peut-être les a-t-il même conseillés pour leur mise en œuvre. Et alors ?

Après tout, les avions de la coalition saoudienne qui frappent quotidiennement le Yémen et les bombes ou obus qui tuent les Yéménites sont de fabrication US, britannique ou française. Les bateaux qui assurent le blocus maritime du Yémen et réduisent la population yéménite à la famine le sont aussi.

Que dire devant un tel constat ?

Ce qui me frappe, c’est la frénésie des fausses accusations occidentales de plus en plus fréquentes et de moins en moins crédibles qui nous sont rabâchées quotidiennement par les médias mainstream. Tout ce qui ne va pas en Europe dans le sens voulu par nos élites dirigeantes, c’est la faute à la Russie (Ukraine, Brexit, élections nationales, affaire Skripal) ; tout ce qui ne va pas en Asie, c’est la faute à la Chine ; tout ce qui ne va pas au Proche-Orient et au Moyen-Orient, c’est la faute à l’Iran ; tout ce qui ne va pas en Amérique du Sud, c’est la faute au Venezuela, etc. On ne construit pas des politiques étrangères solides en imputant aux autres les résultats de ses insuffisances.

Dans les cercles du pouvoir, personne ne semble vouloir s’interroger sur les véritables causes des désordres mondiaux qui crèvent pourtant les yeux. Pour faire simple il s’agit, avant tout, des ingérences néoconservatrices tous azimuts et tous prétextes dans les affaires de pays souverains, ingérences d’une coalition occidentale en déclin qui cherche désespérément à maintenir son hégémonie sur le reste du monde et ses « avantages acquis » au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Au-delà de cette frappe et de ses conséquences en terme d’approvisionnement pétrolier, on peut se demander si cette action houthie ne constitue pas aussi un triple message de l’Iran à l’adresse des États-Unis, de l’Arabie saoudite et du reste du monde.

  • Le premier message adressé aux USA, et plus largement à la « coalition occidentale », pourrait bien être le suivant :

« Si les Houthis sont parvenus, avec une vingtaine de drones et missiles, et des moyens limités, à frapper des cibles à 1 000 kilomètres de leurs bases, en déjouant “le dôme de fer” saoudien, s’ils sont parvenus à réduire de moitié la production saoudienne de pétrole en une seule attaque, imaginez quel pourrait être le résultat si un grand pays comme l’Iran devait riposter à une “agression” saoudienne ou US avec plusieurs centaines de drones aussi furtifs qu’efficaces. L’Iran 2019 n’est pas l’Irak de 2003. Il est équipé et armé pour un conflit asymétrique et il n’est pas seul. Russie, Chine, Inde notamment coopèrent avec lui. N’oubliez pas que l’équilibre économique du monde est aujourd’hui très fragile et peut être ébranlé à votre détriment. À bon entendeur, salut… »

Ce message est fort, et semble avoir été entendu jusqu’à présent par ses destinataires d’autant qu’il a été appuyé par une action incontestablement efficace et d’ampleur inattendue…

  • Le deuxième message adressé aux Saoudiens et plus largement aux pays du Golfe, pourrait être le suivant :

« La confiance aveugle que vous avez mise dans les armements occidentaux achetés à grands frais et dans des alliances destinées à protéger vos familles régnantes n’est pas justifiée. Le résultat de la “frappe d’avertissement” houthie montre que ni l’armement, ni le soutien achetés à vos alliés n’ont permis de vous protéger. Cessez donc d’écouter et de suivre ceux qui s’ingèrent dans vos affaires pour leur seul intérêt. La sécurité dans la région du Golfe est l’affaire des pays riverains qui doivent coopérer entre eux et refuser les ingérences intéressées des pays occidentaux. »

Ce message est également fort et a été reçu 5 sur 5 par les Émirats et le Qatar à défaut de l’être encore par la jeune « tête brûlée » d’Arabie saoudite qui surestime les capacités de son pays alors même qu’il est mis en échec par le David yéménite. Un à un, les pays du Golfe reprennent peu à peu le chemin de Téhéran.

  • Le troisième message iranien adressé au monde entier et qui sera relayé par de nombreux pays « amis » (de l’OCS notamment) pourrait être le suivant :

« Ne confiez pas la direction du monde et votre protection à un État unique qui sème aujourd’hui le désordre et le chaos partout où il s’ingère, qui n’a plus de parole et remet en cause les traités du jour au lendemain, qui agit par la contrainte et les sanctions extraterritoriales, même à l’encontre de ses alliés, et surtout qui n’a plus les moyens militaires classiques adaptés à ses ambitions pour l’emporter dans des conflits asymétriques. Et, pour votre protection anti-aérienne, achetez le S400 russe, plus efficace et moins cher que le Patriote US qui a montré ses limites tant en Arabie saoudite qu’en territoire israélien ».

Général (2s) Dominique Delawarde

Départ de Bernadette

Discours de Bernadette lors de sa fin de mandat de vice-présidente en charge du comité Aunis-Saintonge (17).

Quelques considérations non intempestives pour répondre à quelques interrogations.

« Qu’est-ce qu’on t’a fait ? » s’exclama notre ami Jacques Tabary, à l’annonce de ma démission, véritable cri du cœur exprimant ainsi le désarroi silencieux de ses camarades qui ne semblaient pas avoir pris au sérieux les « prémic/sses » (dans tous les sens du terme) de mon retrait de la fonction de vice-présidente ayant en charge le Comité Aunis-Saintonge, comme se plaît à le nommer notre éminence grise, Philippe Mounier, si féru d’histoire…

Cette présidence, je l’ai acceptée en octobre 2011, dans le contexte tragique de la mort de Pierre-Philippe Feyzeau, au moment de ma prise de retraite de l’Éducation Nationale, prendre sa retraite ne signifiant pas pour autant battre en retraite !

Je ne peux donc pas m’exclamer comme Jacques-Louis Keszler avec lequel je suis allée voir les étudiants d’EXCELIA à La Rochelle (Groupe Sup de Co dont il a été le fondateur et nous y avons travaillé de concert à l’époque) pour y présenter les Lundis de l’IHEDN :

« Nous retrouver ensemble à Sup de Co… c’est du Dumas !… 20 ans après !! »

parce qu’en réalité, en ce qui me concerne, trois mandats de présidente ne font que neuf ans… et nous ne sommes même pas encore en 2020 !

Par contre je peux dire « 20 ans après », ayant fait la session régionale de Poitiers en 2000 avec Christophe (Royer), et un certain nombre de nos amis de l’AR 18.

Devenir alors « auditeur » a officialisé pour moi un engagement personnel qui, lui, remonte aux années 90, au sein du Trinôme académique dont l’action s’inscrivait dans les valeurs civiques de la République, et rayonnait en osmose avec l’AR 18.

C’est ce sens du devoir, ce respect des valeurs humanistes qui m’ont fait accepter la responsabilité de la présidence en octobre 2011, m’inscrivant ainsi dans la succession de Pierre-Philippe Feyzeau, Max Clicquot de Mentque, et même de Paul Guéneau dont il ne faut pas oublier qu’il a fait vivre en son temps le comité, même si sa modestie ne l’a pas conduit à le faire connaître. Ce fut du reste une belle époque, bien avant 2000, où le comité qui n’était pas encore identifié comme tel, rayonnait sur l’AR 18 par son travail interdépartemental auquel participaient certains d’entre vous toujours présents, fidèles parmi les fidèles : Alain Amat, Christian Beaudeau, Claude Boudesseul, Régis Hardy…

J’ai donc pris la présidence dans l’urgence de la situation, et surtout pas pour céder à la mode d’une parité dont la revendication systématique me semble plutôt déshonorer la gent féminine, mais j’ai surtout accepté parce que je savais pouvoir m’appuyer sans réserve sur Jean-Claude Rodriguez, qui eût dû lui-même devenir président d’un comité dont il a été la véritable cheville ouvrière…

Partagez donc avec moi l’émotion de savoir que je pars sans regret, laissant à Paul Morin une responsabilité dont il a déjà témoigné par son investissement personnel, au sein d’un comité qui bouillonne d’idées et d’initiatives dont la dernière, et pas la moindre, est la création du site Internet que l’on doit à Christian Chauvet et Jacques Tabary, tous deux faisant entrer l’AR 18 de plain-pied dans le XXIème siècle.

Que cette réunion de ce soir soit donc un véritable « trait… d’union » … tiret du 6 «  » comme du 8 « _ » puisqu’il souligne l’arrivée du nouveau président : bienvenue Paul !                           

Bernadette Grignon

Dossier d’archives :

Bonjour.
Merci à tous pour avoir contribué et participé au succès de la cérémonie en hommage à Bernadette qui s’est tenue hier soir lundi 23 septembre au cercle militaire de Rochefort.
Vous trouverez la photo de groupe prise sur l’initiative de Jean-Michel CLÈRE.
Merci aussi à celles et ceux qui ont contribué à cette réussite et qui, malheureusement, n’ont pu se libérer à cette occasion.
Amitiés

Paul Morin

Très chers Amis,

Je suis encore sous le coup de l’émotion qu’a provoquée la surprise de cette réunion, véritable cérémonie dont je reste encore toute esbaudie du secret de l’organisation et des honneurs auxquels j’ai eu droit.

Après ce bel hommage et ce magnifique cadeau qui témoigne de la résistance de la plume au clavier… un repas très convivial a permis de prolonger ces échanges animés par une amitié dont le témoignage en est la présence de Jean-Claude Duchet, accompagné du général Ménanteau et du président du comité 16, Dominique Faure. Nous devons à l’initiative du président de l’AR 18 la réduction à un prix symbolique de ce repas « amélioré », selon l’expression consacrée.

Notre nouveau président, Paul Morin, prenant début octobre quelques vacances bien méritées, je vous enverrai prochainement l’invitation à participer à notre réunion du lundi 21 octobre (qu’il présidera), dont l’ordre du jour reconduira en grande partie celui du 23 septembre.

En vous renouvelant mes remerciements très émus, croyez à la fidélité de mon engagement associatif et à la sincérité de mon amitié.

Bernadette Grignon

La sécurité énergétique des armées françaises

Source : Ifri – 28 avril 2016

En pleine Première Guerre mondiale, George Clémenceau jugeait déjà en 1917 :

« l’essence aussi nécessaire que le sang des batailles de demain ».

La sécurité de l’approvisionnement énergétique des forces armées, en particulier en carburants, est en effet une condition centrale du bon déroulement des opérations militaires. Elle conditionne la liberté d’action des forces engagées qui doivent à ce titre éviter toute rupture des flux tout en bénéficiant de produits pétroliers dont la qualité est avérée.

Un organisme central créé en 1945, le Service des Essences des Armées (SEA), est en charge de garantir cette sécurité énergétique des armées françaises (1) : il gère toute la chaîne de l’approvisionnement pétrolier du ministère de la Défense, depuis l’acquisition de produits pétroliers et leur homologation à leur distribution (2) en passant par la construction des infrastructures pétrolières.

Dans cette étude publiée par le Laboratoire de recherche sur la défense de l’Ifri, Paul Kaeser, ingénieur militaire au sein du SEA, rappelle les missions dont est investi cet organisme en pointant ses forces et ses vulnérabilités ainsi que les nouveaux défis auxquels il est aujourd’hui confronté, dans un contexte de « transition énergétique ». Il étudie les pistes pour « renouveler » la sécurité énergétique des armées françaises qu’il définit comme la « capacité à assurer en tout temps et en tous lieux l’alimentation en énergie des installations militaires et des systèmes d’armes déployés, même en cas de rupture des flux externalisés ».

Fort d’un effectif d’environ 2 100 personnes, le SEA dispose entre autres d’une quarantaine de dépôts pétroliers en France, d’environ 400 camions de transport et de 140 wagons-réservoirs.

En 2014, environ un quart des carburants qu’il a distribués l’ont été sur le terrain d’opérations extérieures (OPEX). Les ruptures de flux pétroliers y constituent une difficulté récurrente. Le SEA recherche une redondance de ces flux d’approvisionnement afin de garantir la sécurité énergétique des forces engagées (nécessité opérationnelle en contradiction avec l’optimisation financière) et s’appuie sur les fournisseurs pétroliers locaux lorsque cela est possible (3).

Ce Service peut soutenir des forces dès leur entrée sur une zone d’intervention en déployant immédiatement une chaîne d’approvisionnement pétrolier. Les détachements de soutien pétrolier varient fortement, d’un seul militaire jusqu’à plus de 100 personnes comme lors du début de l’opération « Serval » au Mali en 2013.

Le SEA bénéficie d’une expertise technique reconnue (4) mais son autonomie a eu pour effet de partiellement « décharger » le commandement des armées de la préoccupation de la sécurité énergétique. Paul Kaeser s’interroge ainsi sur les moyens d’une meilleure prise en compte de cette problématique au niveau stratégique. Il analyse enfin les conditions pour faire émerger des forces moins énergivores (malgré les spécificités militaires limitant parfois les économies d’énergie) (5) et plus généralement une nouvelle gouvernance de « l’énergie de Défense ». 

Sources / Notes

  1. A l’origine, le SEA était en charge de ravitailler toutes les forces militaires terrestres de la France. Il a par la suite également été chargé du soutien pétrolier des bases aériennes (en 1960) et de la flotte de la Marine (en 2010).
  2. Sauf certaines exceptions : stations-services militaires des bases de Défense (gérées par le service du commissariat des armées), ravitaillements en vol ou sur porte-aéronefs, etc.
  3. L’essence F-18 nécessaire aux drones Harfang doit par exemple souvent être acheminée directement depuis la raffinerie de la Mède en Provence.
  4. L’ensemble des ingénieurs militaires du SEA ont suivi un an de formation au sein de l’IFP School.
  5. La notion de sobriété énergétique est plus ou moins bien intégrée au sein des différentes armées : elle est essentielle dans la Marine ou pour les pilotes d’astronefs disposant de ressources limitées mais l’armée de Terre est encore fortement imprégnée « d’un vieux principe selon lequel l’intendance suivra », indique Paul Kaeser.

© Paul Kaeser, « La sécurité énergétique des armées françaises. Le soutien pétrolier à l’heure de la transition », Focus stratégique, n° 66, mars 2016.

À quoi ça sert, la philosophie ?

Le Journal de la Philo par Géraldine Mosna-Savoye

L’amour, le mal, la mort, la justice, la joie, la morale… : les philosophes ont pris la parole et la plume sur tout. Mais de leur propre discipline, qu’en ont-ils dit ? Comment la voient-ils ? À quoi leur sert la philosophie ?

L’anthologie Le goût de la philosophie tente de répondre à toutes ces questions, à paraître aux éditions Mercure de France.

La philosophie, ça sert … 

À quoi sert la philosophie ? Si cette question était d’actualité en 1980, 39 ans plus tard, en pleine réforme du lycée et de l’enseignement, dont celui de la philosophie, elle l’est encore. Et le mieux, pour y répondre, est encore de se tourner vers les principaux intéressés : les philosophes, “ces gens un peu bizarres au langage si particulier” comme le dit Bernard Pivot… Et c’est bien ce qu’on trouve dans cette anthologie Le goût de la philosophie. 

Qu’est-ce que la philosophie pour Aristote ? Comment en faire selon Sénèque ? Qu’est-ce que vivre sans philosophie, selon Descartes ? À quoi ressemble le fait de philosopher selon Bergson ? Ou encore qu’est-ce que Rousseau a apporté à Kant et Simone Weil à Albert Camus ? 

Ce sont quelques-uns des textes que vous pouvez y découvrir, vous saurez ainsi que la philosophie commence par l’étonnement, qu’il faut s’y consacrer complètement, que ne pas philosopher, c’est avoir les yeux fermés, mais que le faire est un acte simple, et qu’enfin, Rousseau permet d’être sur le droit chemin et que la solitude de Simone Weil n’était pas sans espoir… Je vous laisse attribuer à chaque auteur ces réflexions…

Mais cela suffit-il à dire à quoi sert la philosophie ? C’est le premier problème, et c’est Jankélévitch qui l’avait soulevé, justement dans cette émission de 1980, voici ce qu’il répondait à la question posée : 

… à rien ! …

La philosophie, ça ne sert à rien… On pourrait y voir une réponse de philosophe, qui déconstruit la question pour ne pas y répondre. Et c’est vrai que cette réponse est séduisante, que l’on est tenté de le croire : je ne lis pas un livre de philosophie pour penser, je n’écoute pas tel penseur pour avoir une idée ou pour réussir une réflexion, comme je me servirais d’un mixeur pour réussir ma purée. 

Et pourtant, force est de reconnaître que beaucoup des textes de cette anthologie révèlent une utilité de la philosophie : pour Marc Aurèle, seule la philosophie permet de nous guider au milieu des écueils de l’existence ; pour Voltaire, elle est un remède au fanatisme ; ou pour Sartre et Beauvoir, elle est ce qui nous dévoile le monde et permet d’y cheminer. Plus intéressant, encore, Rousseau pour qui la philosophie est comme un magasin d’idées, comme si pour le coup elle nous permettait de réussir à penser, à s’instruire.

Dans la suite de l’entretien avec Pivot, Jankélévitch dit que la philosophie ne sert à rien, mais qu’elle suppose en revanche une pratique : elle se fait, plutôt qu’elle ne se dit. Si elle a donc bien une utilité, sans relever pour autant de l’utilitarisme, de l’instrument pur, c’est parce qu’elle se pratique, elle ne sert pas à obtenir un bien précis, mais à quelque chose de beaucoup plus fondamental pour soi et d’en même temps très quotidien : la critique… 

… mais ça se pratique. 

Philosopher ne sert à rien, mais ça se fait et ça se pratique, de fait, tout le temps, même quand on le conteste.
Ainsi, ce n’est pas l’acte de philosopher qui doit être questionné, en se demandant à quoi il sert, mais plutôt l’existence de ces textes mêmes qui font parler la philosophie et en montrent l’utilité.
À quoi ça sert de parler de philosophie quand on est philosophe ? N’est-on pas déjà convaincu de sa nécessité ? Qui cherche-t-on à convaincre ? C’est une autre question… tout aussi utile. 

Tous les extraits sont issus de l’émission Apostrophes, Antenne 2, 1980

Organiser une opération militaire pour les nuls

Par Michel GOYA.

Alors jeune sergent, j’ai été appelé un jour avec mes camarades chefs de groupe de combat d’infanterie par mon chef. Le discours fut bref :

  • Qu’est-ce que vous glandez ?
  • On attend vos ordres, mon adjudant !
  • Je ne donne pas d’ordres mais des missions à remplir, et quand je n’en donne pas, il y en a une qui s’applique automatiquement : maintenir et si possible renforcer vos compétences et celle de vos hommes.
  • Donc si je ne dis rien, je dois vous voir en train de courir, ramper, manœuvrer, tirer, nettoyer vos armes, apprendre des trucs.
  • Dès que j’ai une mission à vous donner, en général parce qu’en j’ai reçu une moi-même, tout s’arrête et on bascule sur un objectif plus précis à atteindre.

Le voile s’est alors déchiré devant mes yeux novices.

La suite de cet article en ligne : https://lavoiedelepee.blogspot.com/2019/08/organiser-une-operation-militaire-pour.html?m=1

Stéphane MARCIREAU, le philosophe

Stéphane Marcireau, le philosophe joueur derrière Philodéfi

Par Denis Peiron, La Croix, le 29/08/2019 à 11:53 

Le savoir en partage (4/5). Ce professeur de Poitiers a créé un jeu pour aider les élèves à apprendre la philosophie en tirant profit des intelligences multiples. Une démarche ludique couronnée de succès.

Stéphane Marcireau, professeur de philosophie, photographié dans son lycée, L’Union Chrétienne, à Poitiers (Vienne) le 9 juillet 2019. Il a crée « Philodéfi » jeux de cartes pour apprendre la philosophie en s’amusant. Photos Claude Pauquet pour La Croix.

Quand il a commencé à enseigner la philosophie, il y a un petit quart de siècle, Stéphane Marcireau se préoccupait avant tout de gérer son planning, de boucler son programme. Dans son lycée catholique du centre-ville de Poitiers, il pouvait encore se permettre de donner des cours à l’ancienne, dans une logique de transmission verticale, de maître à élève. Mais les ans ont passé et la jeunesse a changé. Les aspirations ont évolué. Et surtout, à l’heure de l’instantanéité numérique, les capacités de concentration ne sont plus ce qu’elles étaient.

Comment relever le défi ? Il y a quelques années, Stéphane Marcireau s’est souvenu d’une séance durant laquelle, se promenant entre les rangs tout en dictant son cours, il avait découvert les dessins que faisait Louise, l’une de ses meilleures élèves, en marge de ses notes :

Elle avait représenté l’animal-machine cher à René Descartes. Sur sa feuille, on apercevait le philosophe en train de soulever la peau de son cheval, dont on découvrait alors la mécanique. En quelques traits, elle avait résumé cette théorie cartésienne pour mieux la fixer dans son esprit : l’animal n’est qu’une machine, avec des tuyaux, des ressorts.

Nota. Stéphane MARCIREAU est auditeur de l’IHEDN.

Sans prise en compte de l’histoire, la guerre du Sahel ne pourra pas être gagnée

Lundi 19 août 2019, une nouvelle et importante attaque des GAT (Groupes armés terroristes) menée dans le nord du Burkina Faso, a fait des dizaines de morts, de blessés et de disparus dans les rangs de l’armée burkinabé.

Pourquoi, six ans après la chevauchée de Serval, un conflit au départ localisé au seul nord-est du Mali, limité à une fraction touareg et dont la solution passait par la satisfaction de revendications politiques légitimes, s’est-il transformé en un embrasement régional paraissant échapper à tout contrôle ? 

La réponse tient en deux points : 

1) En 2013, pour obtenir une victoire totale, il eut fallu conditionner la progression de Serval et la reconquête des villes du nord du Mali à des concessions politiques du pouvoir de Bamako. Les décideurs français ne l’ont pas voulu. 

2) Ceux qui ont défini la stratégie française dans la BSS (Bande sahélo saharienne) ont choisi les nuées contre le réel, à savoir l’illusion de la démocratie et le mirage du développement.

Or, en Afrique, comme démocratie = ethno-mathématique, les ethnies les plus nombreuses remportent automatiquement les élections. Conséquence, au lieu d’éteindre les foyers primaires des incendies, les scrutins les ravivent ou les maintiennent en activité.

Quant au développement, tout a déjà été tenté en la matière depuis les indépendances. En vain. D’ailleurs, comment les politiques, les médias et les « experts », peuvent-ils encore oser parler de développement, alors qu’ils savent que la suicidaire démographie africaine en vitrifie par avance toute éventualité ? 

Dans l’état actuel de la situation sécuritaire dans la BSS, le retour au réel est plus que jamais une urgence afin d’identifier les causes profondes de la conflictualité à laquelle nos Forces sont confrontées. Elles ont en effet un besoin vital de cette lisibilité que seule la connaissance du passé permet d’obtenir.L’histoire régionale nous apprend ainsi que les actuels conflits ne sont pas une nouveauté. Résurgences de ceux d’hier, ils s’inscrivent dans une longue chaîne d’évènements expliquant les antagonismes ou les solidarités d’aujourd’hui. 

Quelques exemples :

1) A l’ouest du lac Tchad, à partir du Xe siècle et durant plus d’un demi-millénaire, se succédèrent royaumes et empires (Ghana, Mali et Songhay). Tous contrôlaient les voies méridionales d’un commerce transsaharien articulé et même ancré sur des villes-marchés mettant en contact le monde soudanien et le monde méditerranéen. Quand ils étaient forts, ils se faisaient respecter par les éleveurs nomades, leur interdisant de razzier les agriculteurs sédentaires. 

2) Après la destruction de l’empire Songhay par le Maroc en 1591, à l’exception des Bambara au nord et des Mossi au sud, les peuples sédentaires de la région ne constituèrent plus de véritables États. Tant chez les Songhay que chez les Djerma, la vie en société ne fut plus dès-lors organisée qu’autour de villages ou de regroupements de villages incapables de se défendre contre la razzia nomade. 

3) A la fin du XVIIIe siècle et durant le XIXe, les populations sédentaires de l’ouest du Sahel subirent l’expansion des nomades Peul, mouvement dévastateur qui se fit avec l’alibi de la religion. Trois jihad peul ou apparentés bouleversèrent alors la marqueterie ethno-politique régionale. Celui d’Ousmane (Othman) dan Fodio se fit en pays Haoussa, celui de Seku Ahmadou au Macina et celui d’El-Hadj Omar en pays bambara. Du haut Sénégal à la région tchado-nigeriane, ce ne fut alors que désolation, pillage, massacre et mise en esclavage. 

4) Aujourd’hui, dans tout l’ouest africain, ces terribles épisodes sont encore très présents dans les esprits. Leur souvenir constitue le non-dit, et souvent même le véritable soubassement des actuels affrontements ethniques baptisés « communautaires » par idéologie, « pruderie » ou « prudence »… Or, en ne nommant pas les choses, l’on en perd le sens.

En effet, pour les Peul et pour ceux qui se réclament de la « peulitude », Ousmane (Othman) dan Fodio, Seku Ahmadou et El Hadj Omar sont des héros. Les Bambara, Dogon, Mossi, Djerma, Songhay et autres, les voient tout au contraire comme des conquérants esclavagistes cruels et sanguinaires dont l’impérialisme pillard était camouflé derrière un pseudo-justificatif religieux.

Voilà défini l’arrière-plan des actuels conflits du Macina et du Liptako amplifiés par la surpopulation et la péjoration climatique. Refuser de le voir ou considérer cela comme « anecdotique » va, tôt ou tard, conduire à de nouvelles « désillusions » et, hélas, à de nouvelles pertes cruelles. 

5) Avant la colonisation, accrochés à la terre qu’ils cultivaient, les sédentaires du fleuve et de ses régions exondées étaient pris dans la tenaille prédatrice des Touareg au nord et des Peul au sud. Pour survivre, ils constituèrent alors de complexes réseaux d’alliances ou de solidarités. Ayant traversé le temps, ils permettent d’expliquer pourquoi certaines « communautés » se rangent aujourd’hui du côté des GAT, quand d’autres les combattent.

Ainsi, comme les raids des Touareg s’exerçaient depuis le désert au nord du fleuve Niger et ceux des Peul à partir des trois émirats du Dallol, du Liptako et du Gwando, afin d’être épargnés, les sédentaires devinrent les tributaires des premiers ou des seconds :
– À l’ouest, les Songhay choisirent d’être ceux des Touareg, lesquels, en échange, protégeaient leurs villages des attaques des Peul. Entre Gao et Ménaka, au fil du temps, certains des tributaires songhay s’assimilèrent quasiment à leurs protecteurs Touareg. Les Imghad le firent ainsi aux Touareg Ifora et les Daoussak aux Touareg Ouelleminden Kel Ataram. Comme la rive nord leur était tributaire, c’était donc sur la rive sud du Niger que les Touareg menaient leurs razzia, avec pour alliés les piroguiers-pêcheurs Kourtey (Kourteis) vivant entre Ayorou et Say.
– Plus à l’est, toujours sur la rive nord du fleuve Niger, les Djerma étaient dans la même situation que leurs voisins songhay mais, en fonction de la localisation géographique des prédateurs nomades, ils choisirent deux systèmes différents de protection. C’est ainsi que les Djerma du sud devinrent tributaires des Peul pour être protégés des Touareg, alors que ceux du nord demandèrent à ces derniers de les défendre contre les Peul. 

6) A la fin du XIXe siècle, l’armée française bloqua l’expansion des entités prédatrices nomades dont l’écroulement se fit dans l’allégresse des sédentaires qu’elles exploitaient, dont elles massacraient les hommes et vendaient les femmes et les enfants aux esclavagistes du monde arabo-musulman. 

7) La colonisation fut donc en quelque sorte la revanche offerte par la France aux vaincus de la longue histoire africaine. Cependant, dans tout le Sahel occidental, elle eut deux conséquences contradictoires :
– Elle libéra les sédentaires de la prédation nomade, mais, en même temps, elle rassembla razzieurs et razziés dans les limites administratives de l’AOF (Afrique occidentale française).
– Or, avec les indépendances, les délimitations administratives internes à ce vaste ensemble devinrent des frontières d’États à l’intérieur desquelles, comme ils étaient les plus nombreux, les sédentaires l’emportèrent politiquement sur les nomades, selon les lois immuables de l’ethno-mathématique électorale. 

Voilà identifié le terreau des conflits allumés depuis une ou deux décennies par des trafiquants de toutes sortes et des islamo-jihadistes immiscés avec opportunisme dans le jeu ethno-politique local et régional. L’ignorer ou le minorer conduit à la superficialité des analyses, à l’inadaptation des décisions et en définitive, à l’impasse actuelle.

Avec des moyens dérisoires à l’échelle du théâtre d’opérations, Barkhane, qui n’est que de passage, n’est évidemment pas en mesure de refermer des plaies ethno-raciales ouvertes depuis la nuit des temps.

Une bonne connaissance du milieu et des hommes pourrait cependant lui permettre d’éviter leur surinfection. Ces points sont développés et illustrés de nombreuses cartes dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours et dans mon cours vidéo intitulé “Comprendre le conflit au Sahel”
Bernard Lugan